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— Mon fils ! mon fils ! mon fils !

Les sanglots la suffoquèrent. À genoux, furieuse, elle se battit les flancs avec les poings. Elle promena autour d’elle sur les assistans des yeux désespérés. Elle parut se recueillir, dans une accalmie de cette violence.

Et alors elle se mit à chanter.

Elle chantait sa douleur sur un rythme qui s’élevait et s’abaissait régulièrement, comme la palpitation du cœur.

C’était l’antique monodie que, de temps immémorial, dans la terre d’Abruzze, les femmes chantaient sur la dépouille de leurs consanguins. C’était l’éloquence mélodieuse de la douleur sacrée qui, spontanément, retrouvait dans la profondeur de l’être ce rythme héréditaire sur lequel les mères d’autrefois avaient modulé leur plainte.

Elle chantait, chantait :

— Ouvre les yeux, lève-toi, marche, mon fils ! Comme tu es beau ! Comme tu es beau !

Elle chantait :

— Pour un morceau de pain, je t’ai noyé, mon fils ! Pour un morceau de pain, je t’ai envoyé à la mort ! C’est donc pour cela que je t’élevais !

Mais la femme au nez crochu l’interrompit, hargneuse :

— Non, tu ne l’as point noyé. Ç’a été la Destinée. Non, tu ne l’as point envoyé à la mort. Tu l’avais mis au milieu du pain.

Et, faisant un geste vers la colline où était la maison qui avait donné l’hospitalité à l’enfant, elle reprit :

— On le tenait là comme un œillet à l’oreille.

La mère continuait :

— Ô mon fils ! qui t’a envoyé, qui t’a envoyé te noyer ici ?

Et la femme hargneuse :

— Qui l’a envoyé ? C’est Notre Seigneur. Il lui a dit : « Va dans la mer, et perds-toi. »

Comme George assurait tout bas à l’un des assistans que l’enfant, secouru à temps, aurait pu être sauvé, et qu’on l’avait tué en lui mettant la tête en bas et en le pendant par les pieds, il sentit sur lui le regard fixe de la mère.

— Fais-lui quelque chose, seigneur ! pria-t-elle. Fais-lui quelque chose !

Elle pria :

— Ô Madone des miracles, fais le miracle !

Elle répéta en touchant la tête du mort :

— Mon fils ! mon fils ! mon fils ! Lève-toi ! marche !

En face d’elle se tenait à genoux le frère du mort ; et il sanglotait