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singulière. Et elle avait dans le regard un mélange indéfinissable de passion, d’ironie, de cruauté et d’orgueil.

— C’est vrai ? c’est vrai ? insista-t-elle.

Elle continuait à lui étreindre la tête avec ses paumes ; mais, peu à peu, ses doigts se glissaient dans les cheveux, chatouillaient légèrement les oreilles, descendaient jusqu’à la nuque, par une de ces caresses multiples dont elle avait l’art souverain.

— C’est vrai ? répétait-elle, mettant aussi dans cette répétition une câlinerie subtile, donnant à sa voix cet accent qu’elle savait déjà, par expérience, efficace pour troubler son amant. C’est vrai ?

Il ne répondait pas ; il fermait les yeux ; il s’abandonnait ; il sentait la vie fuir, le monde s’évanouir.

Encore une fois il succombait au simple contact de ces mains maigres ; encore une fois l’Ennemie expérimentait triomphalement son pouvoir. On aurait dit qu’elle lui signifiait : « Tu ne peux pas m’échapper. Je sais que tu me crains ; mais le désir que je suscite en toi est plus fort que ta terreur. Et rien ne m’enivre autant que de lire cette terreur dans tes yeux, de la surprendre dans le frémissement de tes fibres. »

Elle semblait, dans l’ingénuité de son égoïsme, n’avoir pas la moindre conscience du mal qu’elle faisait, de l’œuvre destructive qu’elle poursuivait sans trêve et sans merci. Habituée qu’elle était aux singularités de son amant, — à ses mélancolies, à ses contemplations intenses et muettes, à ses inquiétudes soudaines, à ses ardeurs sombres et presque folles, à ses paroles amères et ambiguës, — elle ne comprenait pas toute la gravité de la situation présente, qu’elle aggravait d’heure en heure davantage. Exclue peu à peu de toute participation à la vie interne de George, elle avait, d’abord par instinct, ensuite de propos délibéré, mis toute son étude à fortifier sa domination sensuelle. Leur nouvelle manière de vivre, en plein air, dans cette campagne, sur ce rivage, favorisait l’épanouissement de son animalité, suscitait dans sa nature une force factice et le besoin d’exercer cette force jusqu’à l’excès.

Naguère, en la contemplant endormie, il avait pensé : « La vraie communion sensuelle est aussi une chimère. Les sens de ma maîtresse ne sont pas moins obscurs que son âme. Je ne parviendrai jamais à surprendre dans ses fibres un dégoût secret, un appétit mal satisfait, une irritation non apaisée. Je ne parviendrai jamais à connaître les sensations diverses que lui procure une même caresse répétée à des momens différens… » Eh bien, cette