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même au Sénat. Le Parlement tout entier a fait à la fois œuvre économique et politique, et nous espérons que son vote sera considéré à Berne comme un éclatant témoignage d’une amitié que des malentendus provisoires n’ont pas pu entamer.

Nous avons dit que les différences entre l’arrangement de 1892 et celui d’aujourd’hui sont considérables. Le premier projet visait une soixantaine d’articles, chiffre qui, dans la convention nouvelle, est réduit de moitié. Encore faut-il remarquer que, parmi les trente articles actuellement touchés, dix-neuf avaient été déjà l’objet, il y a trois ans, de concessions que la commission des douanes de cette époque et M. Méline lui-même, malgré leur ardeur encore toute farouche, avaient pourtant acceptées. La Suisse renonce donc à demander des abaissemens de tarifs sur une trentaine d’articles, et quels articles ? Ceux qui intéressent l’agriculture. Cet abandon a une importance sur laquelle il est inutile d’insister. Il faut bien dire aussi, au risque de rappeler d’anciennes polémiques, qu’un des motifs principaux pour lesquels la Chambre de 1892 a rejeté la convention de cette époque, est qu’elle a cru y reconnaître des articles sur lesquels nous consentions des diminutions de tarifs qui devaient profiter non pas à la Suisse elle-même, — elle n’y avait aucun intérêt, — mais à d’autres puissances avec lesquelles elle était en relation, ou en négociation commerciale. Le procédé n’avait pas semblé de très bon aloi. Ces articles ont presque tous disparu de l’arrangement nouveau : dès lors, nous étions sûrs que nos concessions ne profitaient qu’à la Suisse, et elles nous devenaient plus légères. L’habileté de nos négociateurs, — et il faut en féliciter M. Hanotaux à Paris et, à Berne, M. Camille Barrère, notre distingué ambassadeur, — a consisté à éliminer d’abord les matières agricoles, sauf une exception insignifiante sur les fromages de gruyère, et les matières qui n’intéressaient pas directement et exclusivement la Suisse. On était sûr, après cela, de rencontrer l’adhésion de la Chambre, et la seule surprise, s’il y en a eu une, a été que cette adhésion fût aussi complète : elle a ressemblé à de l’entraînement. Elle a été telle que M. Méline y a sacrifié ce qu’il avait jusqu’ici présenté comme un dogme, c’est-à-dire le caractère irréductible du tarif minimum. Le tarif minimum semblait être, par définition, un tarif au-dessous duquel on ne peut pas descendre : point du tout ! M. Méline a fait de ses propres mains un certain nombre de brèches à cette muraille qu’on avait crue sacrée. Et cela est grave, que M. Méline le veuille ou non ! Évidemment il ne le veut pas. Il a protesté que le fait ne devait pas former et ne formerait pas précédent. D’après lui, notre situation avec la Suisse était exceptionnelle et ne saurait jamais se présenter avec une autre puissance. Mais qu’en sait-il ? Pour ne pas reconnaître qu’il faisait une concession sur ses principes, il a tiré fièrement avantage du fait que la Suisse, la dernière puissance qui n’avait pas encore accepté notre tarif minimum,