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des poèmes pleins de fraîcheur et de sentiment. Leila Sultan, la fille d’Abd-el-Hamid, est une musicienne des plus habiles. Et une autre dame turque, Fatma Hanoum, s’est mise à la tête d’une importante campagne pour le relèvement de la condition des femmes dans les classes inférieures de la société. »

Il y a bien une loi qui défend aux femmes turques de divorcer sans le consentement de leur mari. Mais M. Davey nous affirme que cette loi n’empêche pas les divorces d’être plus fréquens en Turquie qu’ils ne sont même aux États-Unis. La femme, en effet, a mille moyens infaillibles d’obtenir le consentement nécessaire : il lui suffit par exemple de témoigner à son mari une mauvaise humeur obstinée, ou de faire mine de lui désobéir. « C’est ainsi que des jeunes femmes âgées de moins de vingt ans ont déjà divorcé et se sont remariées une douzaine de fois. Un très haut personnage de Constantinople s’était marié il y a quelques années avec une jeune fille très riche, très instruite, et d’excellente famille, mais qui avait, paraît-il, un caractère détestable. Un an ne s’était point passé que le mari et la femme avaient divorcé et s’étaient remariés chacun de son côté. Mais bientôt la dame, fatiguée de son second mari, divorça de nouveau. Elle prit une place d’institutrice dans une école supérieure de jeunes filles à Scutari, devint bientôt gouvernante des enfans de la Khédive, et entra si avant dans l’estime de cette princesse qu’elle est aujourd’hui devenue son secrétaire particulier. Elle est venue en cette qualité, l’année dernière, à Constantinople, et dans un banquet à Yldiz-Kiosk elle s’est trouvée placée à table à côté de la troisième femme de son premier mari. »


Peut-être même les hommes, en Turquie, seraient-ils plus disposés que leurs femmes à se plaindre du régime matrimonial que leur a imposé le Prophète : car, pour agréable que puisse être la possession de quatre épouses légitimes, elle impose aux maris des charges et des frais souvent au-dessus de leurs forces. Mahomet a rendu difficile aux femmes l’accès du paradis ; mais, tout en leur témoignant un profond mépris, il n’a rien négligé pour leur assurer dans ce bas monde une existence tranquille et commode. Il a notamment exigé que le mari traitât ses quatre femmes avec une égalité absolue ; et les maris turcs sont tenus en conséquence d’offrir à toutes leurs femmes les cadeaux que l’une d’entre elles s’avise de leur demander. Ainsi encore ils ne peuvent divorcer sans rendre à la femme répudiée jusqu’à la dernière piastre de sa dot, sans compter les sommes que leur coûte l’entretien du harem, avec l’énorme quantité d’esclaves et de domestiques dont il est rempli. De telle sorte que l’on peut s’attendre à voir un jour ou l’autre les mahométans réclamer eux-mêmes d’être dépossédés de leur