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femme ; ils en traitaient par ce même fait qu’ils introduisaient dans leurs romans des hommes et des femmes, s’efforçant ingénument de les montrer tels qu’ils les voyaient. Et pareillement tous les grands écrivains, depuis Homère jusqu’à notre temps. Que leur a-t-il donc manqué pour être sexualistes, et en quoi diffèrent-ils des nouveaux écrivains anglais ?

Mrs Crackanthorpe ne nous le dit pas, dans son ardente apologie de la sexualité en littérature ; mais il suffit de jeter un coup d’œil sur les romans et les drames anglais d’à présent pour s’en rendre compte aussitôt. La vérité est que ce que les Anglais appellent la littérature sexualiste correspond assez exactement à ce qu’a été naguère chez nous le naturalisme. Non contens de faire une part, dans leurs ouvrages, à la différence des sexes, les nouveaux auteurs anglais considèrent cette différence comme l’unique objet qui mérite de les occuper ; et non contens d’en étudier les phénomènes moraux, ils en décrivent et analysent à plaisir la partie physique, de telle sorte que ce n’est point tant leur sexualité que leur sensualité qui les distingue de Dickens et de Thackeray, et des anciens romanciers. De là vient leur succès auprès du public et de là aussi tant de protestations qu’ils soulèvent dans les journaux et les revues. Mais les protestations ne servent de rien contre un courant aussi fort ; et l’avènement du naturalisme dans le roman anglais n’en demeure pas moins un fait accompli. Ce n’est plus en Angleterre, désormais, que les mères françaises pourront s’approvisionner, en toute confiance, de romans pour leurs filles.

Encore ne faut-il point croire que les nouveaux romans anglais ressemblent absolument à ceux des naturalistes français. L’influence de la race subsiste et se fait sentir, malgré tout. Pour se complaire dans l’étude des sujets les plus scabreux, les romanciers anglais restent toujours, cependant, d’acharnés moralistes. Chacun de leurs romans est le développement d’une thèse ; et chacune des différences qu’ils constatent entre l’homme et la femme les conduit à réclamer quelque changement dans les relations présentes de l’homme et de la femme. Et que la plupart de ces romans sexualistes aboutissent à réclamer l’émancipation sociale et politique de la femme, c’est ce qui n’étonnera personne quand j’aurai dit enfin que la plupart de ces romans ont des femmes pour auteurs.


Des femmes, mais des femmes nouvelles : car c’est encore là une des nouveautés les plus considérables de la nouvelle Angleterre. The new woman, la femme nouvelle, il n’y a pas un terme qu’on trouve plus constamment répété dans la presse anglaise. Aussi bien Mrs Crackanthorpe propose-t-elle de l’appliquer à la nouvelle littérature elle-même, et de remplacer le mot de « roman sexualiste » par le mot, plus