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logique de son développement, se prêtaient naturellement à l’eurythmie musicale. L’opéra devait être l’expression parfaite du style Louis XIV. Ce génie de noblesse et de dignité calme, qui répugne à l’imprévu et se plaît à retrouver dans ses œuvres et ses spectacles la paix de sa raison ; qui fait voir les passions au travers des yeux de l’artiste ; ce génie en un mot qui met son idéal dans l’ordre plus que dans la liberté et qui tend peu à peu à chercher la beauté dans la forme de la pensée même, devait se satisfaire dans l’opéra de Lully qui n’est, si je puis dire, qu’une tragédie de la forme. » Cela n’est guère précis, mais semble encore moins juste. Loin que l’opéra fût l’aboutissement de la tragédie, il en était la négation.

C’est bien la raison, en effet, qui préside à tout le système de la tragédie et qui lui dicte celles mêmes de ses règles qu’on a taxées d’être le plus arbitraires et le plus audacieusement conventionnelles. Si le poète est tenu de resserrer sa pièce dans les vingt-quatre heures, c’est afin de moins choquer la vraisemblance, et si on lui impose l’unité de heu c’est qu’aussi bien l’intérêt ne s’attache pas au changement du décor, mais au spectacle changeant des sentimens. La raison qui détermine la conduite de la pièce dirige également l’auteur dans l’étude qu’il fait de la passion. Ses personnages se connaissent, s’analysent, discutent avec eux-mêmes, et s’ils ne résistent pas toujours à l’impulsion du désir, s’ils succombent à la violence de l’instinct, encore savent-ils qu’ils y succombent. On ne laisse aux événemens que la moindre place. Tout se fait par des causes intérieures. C’est par là que la volonté s’éprouve, que les caractères se dessinent, et de là qu’une morale se dégage. — L’opéra est, par définition, un perpétuel défi jeté à la raison. C’est ici le domaine de l’imprévu ; les merveilles les plus invraisemblables marquent le triomphe de l’artiste qui cherche d’abord à provoquer la surprise. Tout dépend des causes extérieures. Partant, pas de psychologie. La volonté n’a rien à faire dans un monde où la face des choses est soudainement changée par l’intervention d’un dieu, à moins que ce ne soit par la baguette d’une magicienne. Les caractères perdent toute consistance dans ce domaine des vaines apparences. Même, comment parler encore de caractères et de sentimens à propos de personnages qui n’ont aucun rapport avec notre humanité ? « Le merveilleux visible n’aurait-il pas banni tout intérêt de la scène lyrique ? demande Grimm dans son article de l’Encyclopédie. Un dieu peut étonner, il peut paraître grand et redoutable ; mais peut-il intéresser ? Son caractère de divinité ne rompt-il pas toute espèce de liaison et de rapport entre lui et moi ? » — Aussi l’intérêt se déplace. Il s’attache à tout ce que la tragédie avait pris soin de bannir comme étant de qualité inférieure. L’opéra réalise et présente sous forme matérielle ce que la tragédie reléguait dans le récit. Nous assistons au « songe » qui vient