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Telles sont les complicités qui nous acheminaient à adopter l’imitation pure et simple de l’opéra italien. Du ballet de Benserade combiné avec la tragédie de Quinault, sous l’influence d’un italianisme décadent et sous la poussée de la frivolité mondaine, s’est formé chez nous l’opéra. Comme il arrive, ses véritables fondateurs, ceux qui l’implantèrent en France ne sont pas ceux qui en avaient tenté les premiers essais. Quinault s’obstinait dans la tragédie, faute d’avoir trouvé pour son « lyrisme » le véritable débouché. Lully n’eut pas de lui-même l’idée qu’on pût adapter la musique au vers français. Rendons au malheureux Perrin et à l’infortuné Gambert l’honneur qui leur appartient. Ce sont eux qui, en 1669, obtiennent un privilège pour la fondation d’une Académie de musique, et qui font représenter le 19 mars 1671 Pomone, pastorale en cinq actes et un prologue. Ils s’étaient associé Sourdéac pour les machines et Chaperon pour la partie financière. Pourquoi n’eurent-ils pas tout le succès que méritaient leur bonne volonté et leurs talens ? Gambert possédait, au témoignage de Saint-Evremond, « un des plus beaux génies du monde pour la musique, le plus entendu et le plus naturel. » Il avait le goût le plus louable pour les mots qui ne veulent rien dire : « Nanete, Brunete ; Feuillage, Bocage ; Bergère, Fougère ; Oiseaux et Rameaux, touchaient particulièrement son génie. » De son côté, Perrin n’était pas dépourvu démérite. Il avait débuté dans la poésie en chantant dans des « pièces folastres » divers insectes, tels que la puce, le moucheron et le ver à soie, et continué par une traduction de l’Enéide où il montrait le héros virgilien « travesty de l’habit non pas d’un barbare… mais d’un cavalier françois, avec la pompe des plumes et des clinquans. » Ce sont des titres. Par malheur il céda au légitime désir de s’enrichir en épousant une vieille femme. Ce fut pour lui l’origine de beaucoup de désagrémens, et pour les débuts mêmes de l’opéra la cause de certaines entraves. Sourdéac doit être remercié pour avoir tenté de supplanter les Italiens dans l’art de la machinerie. C’était un original, s’il faut croire ce qu’en dit Tallemant : « Il se fait courre par ses païsans comme on court un cerf et dit que c’est pour faire exercice ; il a de l’inclination aux méchaniques : il travaille de la main admirablement : il n’y a pas un meilleur serrurier au monde. » Voltaire se porte garant qu’il n’était pas complètement fou. Ce qui est certain c’est qu’il se ruina. L’association tomba en pleine déconfiture. Elle avait seulement préparé les voies à des joueurs plus heureux, ou à des combattans mieux armés pour la lutte. C’est alors que Lully entre en scène. Baptiste était surtout réputé pour son talent de danseur. Il avait déployé dans le rôle du Muphti du Bourgeois gentilhomme une verve étourdissante. C’était un parfait baladin, et qui avait su entrer dans la faveur du Roi aussi avant que l’autre Baptiste, surnommé Molière. Il reprit le privilège de Perrin. Il était âpre au gain,