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des indigènes viennent s’ajouter les fouilles entreprises par les ambitions particulières. Comme les plus mauvaises choses peuvent amener de bons résultats, l’Europe y gagna de voir meubler ses musées. Il est inutile de citer ici tous ceux qui se signalèrent dans ce petit commerce. Passalacqua, Minutoli, Drosetti, d’Anastavy, Salt, Harris sont ceux qui ont formé les collections les plus importantes. Mais trop souvent ces illustres fouilleurs détruisirent les monumens pour trouver de petits objets, et trop souvent aussi les grandes expéditions scientifiques ne furent pas à l’abri de ce reproche, lorsque l’immortelle découverte de Champollion eut rendu possible l’intelligence des textes hiéroglyphiques. Aussi est-on déjà tout étonné qu’il restât quelque tombe à découvrir, quelque monument à fouiller, lorsqu’en 1851 l’illustre Mariette partit pour l’Égypte avec mission de rechercher les manuscrits coptes que pouvaient encore renfermer les couvens de l’Égypte, et oublia sa mission dès qu’il eut mis le pied sur le sol de la vallée du Nil pour ne s’occuper que de ses monumens.

Mariette ! c’est le géant de l’égyptologie, l’Atlas qui pendant près de trente ans porta sur ses puissantes épaules le monde de ses découvertes. Il commença sa carrière par un coup de maître et qu’on a nommé sa plus belle œuvre, en réalité son œuvre la plus difficile, la découverte de ce Serapeum de Memphis alors enseveli sous les sables dont seules émergeaient les têtes des sphinx dans l’allée qui conduisait au temple. Les résultats prodigieux de cette découverte inattendue frappèrent le vice-roi d’Égypte en ce temps-là ; il voulut utiliser la science et le génie archéologique de Mariette ; il lui permit de fonder ce célèbre musée de Boulaq qui devint bien vite le trésor des richesses égyptiennes, que Mariette disposa d’une manière savante, l’aimant par-dessus tout, fier d’y guider les plus illustres personnages, et semblant y vivre avec plus d’intensité que partout ailleurs. Nous avons pu admirer nous-même, soit à l’Exposition de 1867, soit à celle de 1878, la plupart des chefs-d’œuvre recueillis par Mariette. Nulle partie de l’Égypte ne resta en dehors du zèle brûlant de l’archéologue français ; sa puissante activité se manifestait partout à la fois. Gizeh, Memphis, Saqqarah, Abydos, Denderah, Deir el Bahary, Karnak, Edfou. Tanis, etc. sont sortis, grâce à lui, des ruines accumulées par les hommes plus que par les siècles. Quelles difficultés n’eut-il pas à vaincre ? quelles jalousies à ménager ? quels déboires à supporter ? que de périls à conjurer ? Rien ne le rebuta. Mariette fut, jusqu’à son dernier soupir, fidèle à lui-même, à sa mission et à son œuvre.