Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 130.djvu/426

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pauvre carrier qui, d’un coup de marteau, avait fendu une pierre de laquelle s’échappa un trésor. Cet heureux homme, devenu riche, s’embarquait pour Constantinople, achetait à beaux deniers comptans la charge de premier ministre et menait joyeuse vie jusqu’au moment où il était puni de ses fautes et redevenait pauvre. Les lecteurs de ce conte se promettaient bien de ne pas commettre les fautes du carrier si jamais ils avaient sa chance. Les auteurs qui ont écrit l’histoire de la domination arabe et turque en Égypte parlent à chaque instant des découvertes merveilleuses faites par d’heureuses gens, de vases remplis de pièces d’or, d’émeraudes, de rubis, d’agates, de statues en or de grandeur naturelle, etc., toutes choses qui n’ont sans doute existé que dans l’imagination grossissante de ces auteurs.

Cependant quelques-uns d’entre eux, comme Ad el Latif et Makrizy, donnent sur certains sujets des renseignemens tellement exacts que force est bien d’en conclure à l’exploitation des monumens, même à leur destruction. C’est le cas pour les petites pyramides qui existaient à côté des trois grandes sur le plateau de Gizeh et qui furent détruites par le vizir de Saladin, Qaraqousch. Il suffit d’ailleurs de passer dans les rues du Caire arabe ou d’un simple village égyptien pour apercevoir des pierres qui proviennent des tombeaux et que l’on a employées aux usages les plus divers, quand on ne les a pas mises en pièces. Dans le plus grand couvent copte actuel, ayant eu l’occasion d’interroger quelques anciens moines sur des événemens s’étant passés pendant leur vie, je pus constater que pour eux le règne, si célèbre et si fertile en événemens de toute sorte, de Mehemet Ali se résumait en la manière dont il s’était conduit envers un pauvre fellah qui avait trouvé un trésor dans (une tombe antique. Comme le mourdir de la province, voulant garder pour lui la bonne aubaine, avait emprisonné le fellah, Mehemet Ali, dès qu’il connut cette injustice, évoqua l’affaire par-devant lui, punit le gouverneur, mit le fellah en liberté, mais garda la moitié du trésor pour se payer des frais de sa justice. Des événemens qui avaient failli mettre l’Europe en feu, des campagnes de Grèce, de Syrie, de la conquête du Soudan, de la réorganisation de l’Égypte. C’était tout ce que savaient ces bons moines. Heureux hommes ! Encore aujourd’hui les charlatans assis dans les rues du Caire vendent à qui le veut un petit livre dans un arabe mélangé de mots mystérieux et qui donne la liste des lieux où l’on est sûr de rencontrer un trésor pour peu que l’on y fouille.

L’expédition française en Égypte, à la fin du siècle dernier, vint donner un nouvel essor à la vente des antiquités. Au pillage