Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 130.djvu/412

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


Selon le principe admis par Sadi Carnot, un corps qui décrit un cycle absorbe exactement autant de chaleur qu’il en dégage ; en particulier, une machine qui fonctionne suivant un cycle de Carnot cède au réfrigérant une quantité de chaleur précisément égale à celle qu’elle a empruntée au foyer ; cette proposition est incompatible avec la loi de Mayer ; si la machine fournit un certain travail, la quantité de chaleur empruntée au foyer surpasse la quantité de chaleur cédée au réfrigérant, et l’excès de la première sur la dernière équivaut au travail produit par la machine ; l’inverse a lieu si la machine absorbe du travail ; la proposition dont Carnot avait fait usage dans ses déductions doit donc être rejetée ; mais, bien que cette proposition joue un rôle essentiel dans la démonstration des résultats énoncés par Carnot, le rejet de celle-là n’entraîne pas nécessairement le rejet de ceux-ci ; de prémisses fausses, on peut déduire des conséquences vraies ; de la théorie de Carnot, on peut, selon Clausius, conserver ce qu’il y a d’essentiel.

Ce qu’il y a d’essentiel dans cette théorie, c’est la démarcation établie entre les caractères des deux espèces de cycles de Carnot, des cycles directs et des cycles inverses : un corps qui décrit un cycle direct absorbe de la chaleur pendant qu’il est porté à température élevée et dégage de la chaleur pendant qu’il est maintenu à basse température ; au contraire, un corps qui décrit un cycle inverse, dégage de la chaleur à température élevée et en absorbe à basse température. Que la quantité de chaleur absorbée soit égale à la quantité de chaleur dégagée, comme on le croyait à l’époque de Carnot, ou qu’elle en diffère, comme nous l’enseigne la loi de Mayer, peu importe : tout système qui décrit un cycle de la première catégorie transporte de la chaleur d’un corps chaud à un corps froid ; tout système qui décrit un cycle de la seconde catégorie transporte de la chaleur d’un corps froid à un corps chaud. Or les premiers systèmes, — ceux qui transportent de la chaleur d’un corps chaud à un corps froid, — sont les seuls qui puissent obliger les forces extérieures à effectuer un travail négatif, qui puissent fonctionner à l’encontre de ces forces, qui puissent, en un mot, être regardés comme des machines propres à fournir de la puissance motrice. Au contraire, les systèmes qui transportent de la chaleur d’un corps froid à un corps chaud ne peuvent produire cet effet que moyennant un travail positif des forces extérieures ; ils consomment de la puissance ; ce ne sont pas des ma- chines motrices, ce sont des machines frigorifiques ; un système qui décrit un cycle de Carnot ne peut transporter de chaleur d’un corps froid à un corps chaud si ce transport n^est accompagné d’un travail positif des forces extérieures : telle est la proposition que