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l’organisateur des fêtes et des divertissemens qu’interrompra un instant la mort de la duchesse-mère Amélie, dont il prononcera l’oraison funèbre comme un prédicateur de cour, mais qui ne tarderont pas à reprendre de plus belle : car Goethe avait voulu faire, il avait fait de Weimar un lieu de plaisir. Il en a chanté quelque part les joies, réglées par l’excellent régisseur qu’il savait être :


Le jeudi, on se rend au Belvéder ; le vendredi à Iéna, car, sur mon honneur, c’est un lieu des plus charmans. Le samedi est le jour souhaité ; le dimanche, on roule à la campagne : Zwaezen, Burgau, Schneidemühlen nous sont très bien connus.

Lundi le théâtre nous attend ; mardi doucement arrive, mais il amène, pour secrète pénitence, une bonne petite débauche ; mercredi ne manque pas de mouvement, car on donne une bonne pièce ; le jeudi la tentation nous ramène au Belvéder.

Et il s’enchaîne sans cesse, le cercle du plaisir, pendant les cinquante-deux semaines, si l’on sait bien le conduire. Le jeu et la danse, les assemblées et le théâtre, nous rafraîchissent le sang. Laissons aux Viennois leur Prater : Weimar, Iéna… c’est là qu’il fait bon[1] !


Sans doute, le temps des « folles années » était passé. Mais il en restait quelque chose : ce parti pris de gaîté qu’admirait tant Johanna Schopenhauer, cette volonté bien arrêtée de jouir de la vie, quoi qu’elle apporte. Les catastrophes nationales et les deuils privés ne pouvaient rien contre cette belle humeur. Et c’est ainsi que continuait la vie agréable, sereine, pendant que la biographie se faisait.


II

Il y a toujours eu entre la vie et les écrits de Gœthe un accord que d’ailleurs il recherchait. « Faire de sa vie un tout harmonieux, » telle était une de ses maximes favorites, une de celles dont il poursuivait le plus volontiers la réalisation. Il voulait dire par là que l’action, la pensée, le sentiment et le caractère doivent se développer ensemble, selon les mêmes principes, sans contradictions ni conflits. Ses œuvres, en particulier, devaient se fondre dans la vie qui en était la source : « Je ne puis pas partager la vie… Je n’ai jamais écrit que ce que je sens et ce que je pense. C’est ainsi que je me divise, amis, et suis pourtant toujours le même[2]. » Cet accord l’avait peu à peu conduit à une philosophie qu’on a définie d’un mot, l’olympisme. Il y était poussé par sa véritable nature, qu’il cherchait à connaître et

  1. Le Bon vivant de Weimar.
  2. Sprüche in Reimen.