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en témoignent assez. Mais, si les recherches de ces géomètres et de ces physiciens lui ont été d’un grand secours pour développer les conséquences de sa découverte, on peut affirmer que l’idée première de cette découverte ne lui a été suggérée par aucun de ses devanciers ; seules, ses propres réflexions l’ont fait germer en lui.

À cette époque, l’emploi de plus en plus répandu des moteurs à feu suscitait des tentatives nombreuses en vue de transformer ces appareils et de leur faire rendre plus de travail en dépensant moins de combustible : les uns proposaient de substituer à l’eau un liquide dont la vaporisation absorbât moins de chaleur, l’éther par exemple ; d’autres, au lieu d’employer la tension de la vapeur émise par un liquide, proposaient de faire appel à la force expansive des gaz. Ces essais, qui n’avaient pour guides que des idées confuses et incomplètes sur la théorie des machines à feu, réservaient souvent aux inventeurs d’amers déboires et de ruineuses déceptions. L’absence de toute théorie propre à éclairer l’ingénieur qui désirait perfectionner les moteurs thermiques, de toute règle capable de contenir dans de justes limites les ambitions de l’inventeur, frappa vivement Carnot. Quelle cause a empêché jusque-là l’éclosion d’une semblable théorie ? Pourquoi l’ingénieur est-il abandonné aux conceptions les plus fausses et à l’empirisme le plus grossier ? C’est que « le phénomène de la production du mouvement par la chaleur n’a pas été considéré sous un point de vue assez général. On l’a considéré seulement dans des machines dont la nature et le mode d’action ne lui permettaient pas de prendre toute l’étendue dont il est susceptible. Dans de pareilles machines, le phénomène se trouve en quelque sorte tronqué, incomplet, il devient difficile de reconnaître ses principes et d’étudier ses lois. »

Pour saisir clairement la configuration d’un massif de montagnes, il faut gravir la cime la plus élevée, d’où l’œil embrassera tout l’ensemble de la chaîne ; pareillement, en physique, le plus sûr moyen de démêler un problème compliqué consiste presque toujours à le contempler dans toute son ampleur et dans toute sa généralité. « Pour envisager dans toute sa généralité le principe de la production du mouvement par la chaleur, il faut le concevoir indépendamment d’aucun mécanisme, d’aucun agent particulier ; il faut établir des raisonnemens applicables non seulement aux machines à vapeur, mais à toute machine à feu imaginable, quelle que soit la nature de la substance mise en œuvre, et quelle que soit la manière dont on agisse sur elle. »

Comment sera constitué ce moteur à feu très général que va étudier Sadi Carnot ?