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longtemps peut-être… mais il viendra où, tous, nous serons rendus à la terre d’où nous t’avons tirée. — Oh ! s’écrie douloureusement Galatée, comme elles se flétrissent, une à une, toutes les brillantes promesses de la vie ! Mon amour pour lui est une flétrissure ; le sien pour moi est une honte ; le sommeil, qui fait de nous des pierres inertes, est notre état naturel, et l’existence n’est que la passagère illusion qui le traverse… Oh ! comme elles se flétrissent, une à une, les brillantes promesses de la vie ! »

À ce moment notre impression est complète. Les scènes écrites pour le vieux Buckstone, déguisé en dilettante athénien qui juge des statues au poids ; son dialogue avec Galatée qui replace le sujet dans les régions ordinaires de la malice et du quiproquo, et le fait presque redescendre au niveau du burlesque ; enfin le drame conjugal de Pygmalion et de Cynisca, le dévouement de Galatée qui veut redevenir statue pour rendre la paix et le bonheur à ceux qu’elle a désunis et troublés : tout cela n’ajoute pas grand’chose à la pièce, mais ne la gâte pas. Elle demeure une des plus fines, une des plus élégantes et une des plus ingénieuses du théâtre anglais moderne.

Gilbert avait plus d’une fois senti le besoin d’entourer ses paradoxales fantaisies d’une sorte de musique. En effet, la musique est l’accompagnement naturel du rêve. En estompant les contours de la pensée, elle atténue l’âpreté d’une satire trop directe. L’écrivain avait d’abord essayé de la musique de ses propres vers ; mais ceux qui se connaissent en ces sortes de choses sont d’avis qu’il n’est pas né poète. Pourquoi ne pas demander de la musique à un musicien ? Gilbert s’essaya dans le Trial by Jury qui était peut-être suggéré, en partie, par les joyeuses réminiscences de Liverpool. Ce n’était qu’un petit acte, mais très amusant : le succès fut plus gros que la pièce. Alors commença cette longue série d’opéras bouffes qui ont rendu aussi populaire en Angleterre la raison sociale Gilbert et Sullivan que l’a été, chez nous, dans les dix dernières années de l’Empire, l’association de Meilhac et d’Halévy avec Offenbach. Les Anglais savent un gré infini à leurs compatriotes d’avoir détrôné le Burlesque et l’Opérette, deux produits d’importation française qui faisaient concurrence à la manufacture nationale. A la bonne heure, mais je doute que l’opéra-comique indigène survive à ses fondateurs. La mode n’y est déjà plus.

Pour moi je n’ai jamais bâillé de si bon cœur qu’à la Princesse, si ce n’est à Patience. La première est une parodie de l’œuvre manquée de Tennyson qui porte le même titre, et une satire contre la haute éducation des femmes ; la seconde, une caricature du mouvement esthétique. Dans Iolanthe, j’ai vu un