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jeunesse, du moins dans toute la force de l’âge et dans toute l’activité du talent. Ni l’un ni l’autre n’avaient encore atteint quarante-cinq ans lorsqu’ils donnèrent leur représentation d’adieux au Haymarket, en juillet 1885.

Parmi les innombrables témoignages d’estime qui firent un triomphe de cette retraite, je n’en citerai qu’un. C’est une lettre d’Arthur Pinero, qui avait fait partie, comme acteur, de la troupe des Bancroft et qui tient aujourd’hui le premier rang parmi les auteurs dramatiques. Il écrivait à son ancien directeur : « Si le théâtre anglais, qui n’était il y a quelques années que bavardage et clinquant, éclaire aujourd’hui d’une lumière plus vraie la vie et les mœurs, ma conviction intime est que cette rénovation est due surtout à la croisade entreprise, au Prince of Wales, par Mrs Bancroft et par vous. Lorsqu’on écrira l’histoire de notre scène d’une façon exacte et convenable, il faudra y inscrire vos deux noms avec gratitude et avec respect. »

J’ai eu la curiosité d’aller rendre visite à ce petit théâtre où a joué Frederick-Lemaître, où Napoléon III et d’Orsay ont coudoyé Dickens et Thackeray, où Beaconsfield a reçu une mémorable ovation, où Gladstone faillit, un soir, être éconduit faute de place. Les Salutistes ont succédé aux comédiens et je ne sais si leurs trompettes ont eu la vertu de celles de Jéricho, mais ces murailles historiques sont prêtes à tomber. Maintenant c’est le vide, l’abandon, le froid de la ruine. J’étais là un soir de ce dernier hiver, rêvant sous ce porche où a passé, comme un flot ininterrompu, toute l’élégance, toute l’intelligence d’une génération. La lueur d’un bec de gaz lointain éclairait mélancoliquement l’écriteau déjà moisi : « A vendre ou à louer », et la pluie ruisselait sur moi à travers un trou béant d’où la lumière électrique tombait sur le front des jolies femmes parées qui sautaient hors de leurs landaus. Ma curiosité n’était pas satisfaite. Afin de visiter la salle, je me suis donné pour un conférencier en quête d’un amphithéâtre. La ruse n’a pas réussi. On m’a déclaré qu’avant d’y prononcer une parole il faudrait y dépenser de 120 à 150 000 francs et on m’a demandé si cette petite dépense m’arrêterait. Je n’ai pas poussé plus loin la négociation et la porte est restée close.


III

Lorsque la troupe de Marie Wilton, pendant ses premières vacances, alla jouer à Liverpool, elle s’y rencontra avec les assise » d’automne. Les jeunes avocats de Londres qui suivaient ce « circuit » s’empressèrent de fraterniser avec les acteurs. On forma