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Les médecins l’envoyèrent à Torquay où son état empira. J’ai lu une lettre qu’il écrivait de là à sa jeune femme. Lettre lamentable, toute en petites phrases haletantes, rythmées par sa courte respiration de malade. Lamentable et gaie, car il ne pouvait renoncer à faire rire. De retour à Londres, il eut encore un désastre littéraire dont le petit Tommy, alors âgé de treize à quatorze ans, eut à lui rendre compte. Le père et le fils se regardèrent tristement, les yeux en larmes, et se serrèrent la main. « S’ils m’avaient vu comme je suis, dit péniblement l’écrivain, ils auraient eu pitié. » Robertson se trompait. Le public ne doit rien savoir de ces choses, et il n’y a point de circonstances atténuantes pour les fautes littéraires.

Il mourut à quelques jours de là. Il n’avait pas quarante-deux ans. Un ami, qui vint pour les funérailles, remarqua, gisant sur le plancher de la chambre mortuaire, les membres ballans et disjoints, une poupée dont le ventre crevé rendait le son par une large blessure. C’est avec cette poupée que, jusqu’au bout, il amusait sa petite fille. Quant aux pantins avec lesquels il avait amusé le public, ils devaient avoir la vie plus longue. Ses comédies allaient être sans cesse reprises, applaudies et imitées. Sur les six mille représentations données par les Bancroft pendant une gestion de vingt années qui ne fut qu’un succès continu, trois mille soirées appartiennent à Robertson. A lui seul, il est la moitié de leur répertoire et de beaucoup la meilleure. Du fond de ce quartier perdu où elle avait amené la vogue, la troupe du Prince de Galles renvoyait des colonies au cœur de la métropole. Les acteurs qui s’y étaient formés, comme dans un conservatoire, fondaient le Vaudeville, le Globe, le Court théâtre. L’inépuisable succès de Two Roses, — dont il sera question un peu plus loin, — plaçait le nom de James Albery presque à la hauteur de celui du maître. A son tour, Byron imitait son vieux camarade et réussissait adonner au public dans Our boys une comédie sans calembours. Cette pièce ressemble à celles de Robertson, comme une cuisinière ressemble à sa maîtresse lorsqu’elle s’est affublée de sa robe et de son chapeau, ou comme Cathos et Madelon ressemblent à la marquise de Rambouillet et à Julie d’Angennes. Même sous cette forme involontairement parodique, la comédie robertsonnienne plaisait encore, et nous crûmes un instant que Our boys ne quitterait jamais l’affiche. Les délicats, les dédaigneux, ceux qui commençaient à rêver d’un art plus pur ou plus pénétrant, disaient que la comédie de Robertson, c’était la comédie de la Tasse et de la Soucoupe (Cup and Saucer Comedy). L’école acceptait le sobriquet et s’en faisait gloire. En effet, la table à thé, c’était encore, il y a quinze ou vingt ans, le centre du home, le symbole de la