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Robertson approuvait ces tendances ; mais il ne fut jamais qu’un demi-réaliste, et cela pour plusieurs raisons. Comme tous les Anglais, il admirait les batailles de paroles ; il partageait avec tous, anciens et modernes, grands et petits, ce goût pour les choses qui brillent, où il entre peut-être un reste de la passion du sauvage pour les verroteries. Il s’oubliait à enfiler des reparties, faisait jouer les personnages au volant avec des antithèses, ou aiguisait par la queue des tirades qui eussent été mieux placées dans un article de journal. S’égarait-il trop loin, il était le premier à s’en accuser. « Quel rapport, demande un des personnages dans Ours) ce que vous me dites a-t-il avec le sujet dont nous parlons ? — Pas le moindre ! C’est pour ça que je le dis. » Et, dans la même pièce : « Si un auteur mettait cela sur le théâtre, on crierait joliment à l’invraisemblance. » Voilà avec quelle charmante impudence on va au-devant des objections maussades de la critique ; le public aime ces façons-là. Ce qu’il aime surtout, en Angleterre du moins, c’est le petit grain de folie, la savoureuse quaintness qui caractérise les Ben Jonson et les Dickens. C’est cette quaintness qui leur fait inventer des créatures d’exception dont les sentimens étonnent, dont les mots renversent. Ainsi pour Robertson. « Je ne puis pas me marier, dit Jack Poyntz. Je voudrais une femme… oh ! si extraordinaire !… D’abord il faudrait que ma femme… fût une femme. » La petite Nummy Tigho n’a pas une façon moins originale de nous définir le fruit défendu. Cette héritière des nababs n’a pas de plus grand plaisir, à la pension, que de croquer des petits pois tout crus : « C’est délicieux, les petits pois crus… quand on ne vous voit pas ! » Chalcot, le brasseur qui se meurt d’ennui d’être riche, a beaucoup de cet humour-là ; mais Robertson l’a surtout répandu à flots dans School. C’est la plus folle de ses pièces et c’est, sans doute, ce qui explique son succès. Les héroïnes sont des pensionnaires ; elles sont justement dans l’âge et dans la situation où toutes les absurdités semblent possibles et même faciles. Par une convention à laquelle le spectateur se prête volontiers, elles sont petites filles au début et femmes au baisser du rideau. En ces trois heures qui représentent quelques semaines, elles ont appris la vie. « Qu’est-ce que c’est que l’amour ? » demande une des plus jeunes dans la première scène. On la conspue : « Tu ne sais pas ? Comment ! tu ne sais pas ce que c’est que l’amour ? Tout le monde sait ce que c’est ! — Alors, qu’est-ce que c’est ? » Personne ne trouve de réponse, et on va chercher le dictionnaire. « Pourquoi n’avons-nous pas un professeur d’amour comme nous avons un professeur de musique ? — Que tu es bête ! L’amour est un extra. » Puis vient l’heure de passer de la théorie vague aux premières expériences.