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accessoires empruntés à l’art militaire et appliqués à l’art culinaire, le pudding appelé Roley-Poley. Dans Caste, ses talens sont encore plus variés. Elle danse, chante, donne des gifles, joue du piano, fait semblant de jouer de la trompette, se coiffe d’un bonnet de police et imite tout un escadron à cheval. Si ce n’est pas du burlesque, qu’est-ce donc ? Il y a quelques mois, je l’ai vue dans Money, où elle représente une femme du haut monde, et, dans une scène dont elle était l’auteur beaucoup plus que Bulwer, elle esquissait un pas. À ce moment critique, j’ai entrevu les jambes de Pippo sous la jupe de lady Franklin, ces jambes qui s’étaient trémoussées quelque trente-cinq ans plus tôt dans le cerveau de Dickens. Qu’elle le sût ou non, Robertson lui a fait jouer Pippo toute sa vie. Ces rôles de fantaisie, crayonnés sur la marge d’un drame domestique, étaient réservés à une double et curieuse fortune : ils ont eu une grosse part au succès des comédies de Robertson ; à la lecture, ils redeviennent des hors-d’œuvre. Si je dis aux admirateurs de Caste que Polly Eccles gâte la pièce, ils me répondront que Polly, au contraire, en est la joie, la lumière, l’âme et, au point de vue scénique, ils auront raison.

Ce couple des Bancroft, — ils se marièrent peu après l’ouverture du théâtre, — formait au point de vue artistique un tout complet. La femme, c’était la fantaisie, l’imprévu, le diable au corps, le je ne sais quoi ; le mari représentait la réflexion, le goût, l’observation patiente et l’imitation fidèle de la vie. Dès qu’il y eut de l’argent dans la caisse du Prince of Wales, un des premiers usages qu’il en fit fut d’introduire à la scène un réalisme intelligent. Il voulut des portes avec des serrures au lieu de misérables châssis qui tremblaient aux courans d’air des coulisses. Dans Caste, il donna aux chambres des plafonds. Le dernier acte de Ours se passe dans une baraque de Crimée pendant l’hiver de 1855 ; chaque fois qu’on ouvrait la porte du dehors, la bourrasque de neige s’engouffrait dans la chambre avec un sifflement de rafale qui poussait l’illusion du spectateur jusqu’au frisson. Dans les jardins, des fleurs réelles et des oiseaux vivans. On avait trouvé Charles Matthews très hardi parce qu’il avait osé mettre quelques chaises dans un salon : M. Bancroft en vint jusqu’à donner une physionomie à chaque mobilier. Ainsi, dans une reprise de la School for Scandal Joseph Surface eut des meubles différens de sir Peter Teazle, des meubles hypocrites qui singeaient la simplicité et la solidité de la vertu, des meubles qui mentaient pour lui et avec lui. Quant aux actrices, au lieu d’être affublées à la diable des loques voyantes que fournissait le magasin des accessoires, elles eurent de vraies robes faites par de vraies couturières.