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en 1865. Évidemment Solhern, dans lord Dundreary, modernisa quelque peu cette caricature, mais son succès s’explique surtout par le grossier parti pris de la démocratie américaine contre les hautes classes anglaises. Le public de Londres suivit l’impulsion avec une inconcevable naïveté. Si vous lisiez aujourd’hui Our american Cousin, vous en auriez la nausée. À qui fera-t-on croire qu’il puisse exister, en dehors d’un asile d’idiots, un pair d’Angleterre qui ignore que le beurre est fait avec le lait des vaches et qui accueille cette révélation avec une douce pitié ? Même dans ce temps d’agitation contre la Chambre des lords, de tels moyens d’attaque seraient dédaignés des moins intelligens. Tout change avec le capitaine Hawtree qui fait rire sans être ridicule un seul instant, et qui, bien que parfaitement inutile à la pièce, attire à lui une bonne partie de la curiosité et de la sympathie. Comme manière d’être, une sorte de langueur élégante qui ne préjuge rien contre la force des muscles et du caractère ; une soumission aveugle à la morale des salons qui n’exclut ni la générosité des sentimens ni le sens de l’humour ; enfin un composé de cordialité militaire et de cynisme mondain qui a été et est encore un, « état d’âme », sinon une philosophie. Lorsque des circonstances, — d’ailleurs très simples et très naturelles, — amenaient Hawtree à prendre le thé dans d’humbles lodgings de l’East-End, entre une petite danseuse et un ouvrier gazier, presque tout le comique de la scène était dans ses muets étonnemens ; mais il y a des étonnemens qui trouvent moyen d’être très spirituels, tandis que ceux de lord Dundreary sont stupides. Hawtree était curieux de gaucherie et de bonne volonté lorsqu’il portait les assiettes à relaver à Polly Eccles, dans la pantry. Au fond, c’est l’attitude du gentleman anglais devant la question sociale : un peu dédaigneux, un peu railleur, mais prêt à retrousser ses manches et à pousser à la roue quand il faudra.

Quant à Marie Wilton, avec quelle merveilleuse perspicacité Robertson avait déchiffré cette petite femme dont les talens étaient très réels, mais dont toutes les ambitions n’étaient pas raisonnables ! Elle avait horreur de son succès du Strand ; elle ne voulait plus jouer de gamin, ni paraître dans un burlesque : Robertson lui écrivit constamment des rôles de gamin et des scènes de burlesque. Mais le gamin avait des jupons et les scènes de burlesque étaient encadrées dans une comédie. Je laisse de côté Society, qui n’avait pas été composé pour le Prince of Wales. Mais, que fait-elle dans les trois autres pièces ? Dans School elle escalade un mur. Dans Ours, elle joue aux boules : elle singe les affectations des swells (cocodès) de 1865 ; elle fait l’exercice ; elle arrose un gigot de mouton ; mais surtout elle fabrique de toutes pièces, avec des