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mais les gens du quartier l’appelaient familièrement la Boîte-aux-Ordures, et ils s’y connaissent. Les places aristocratiques étaient à un shilling, et, quand les stalles avaient bien dîné, elles bombardaient les loges avec des pelures d’oranges.

Tout cela fut nettoyé, restauré, rajeuni, avec plus d’industrie que de frais. La boîte aux ordures se transforma en une bonbonnière bleue et blanche. La petite directrice ne s’épargnait pas, et le soir de l’ouverture, pendant que la queue se formait déjà à la porte du théâtre, elle plantait le dernier clou. Qu’auraient dit les représentans de la fashion, égarés dans les boues de Tottenham street et étonnés de s’y voir, s’ils avaient contemplé leur favorite, grimpée sur un tabouret et le marteau à la main ?

La troupe qui l’entourait se composait de Byron, de John Clarke, un transfuge du Strand, de Fanny Josephs, actrice d’un talent agréable et délicat, de l’excellente duègne Larkin, et de deux autres sœurs Wilton. Elle comprenait aussi un grand jeune homme de vingt-quatre ans qui n’avait pas encore joué à Londres, par conséquent très indifférent au public, mais non pas à sa directrice. Il s’appelait Bancroft. C’était un gentleman de naissance, d’éducation et de tournure. Mais, sa famille étant ruinée, il avait obéi à la vocation qui l’entraînait vers les planches. En quatre ans et demi, il avait joué 446 rôles ; dans un engagement de 36 jours, à Dublin, il en avait joué 40. Cette dure vie du comédien de province l’avait rompu au métier. Blond, mince, il devait une sorte de gaucherie élégante à sa myopie et à sa haute taille. Il rendait sans effort la froide nonchalance de l’homme bien né, mais au fond de son œil couvert étincelait une inextinguible malice. Il avait beaucoup réfléchi, beaucoup observé, comprenait plus de choses que ceux qui l’entouraient, et sentait confusément s’agiter en lui des qualités qui demandaient à se déployer. Et voici que la fortune, sous les traits d’une jeune fille, venait à lui et le prenait par la main.

Ainsi il y avait de l’ambition et de l’amour dans l’air, ce soir d’avril 1865 où le petit Théâtre du Prince of Wales ouvrit ses portes aussi grandes qu’il put. Pour ne pas effaroucher le public, pour ne pas le déranger dans ses habitudes, tout en le préparant à un changement de répertoire, on lui offrit un burlesque et une comédie. Les amis de Marie Wilton étaient accourus en foule, mais leur sympathie n’allait-elle pas bientôt se lasser ? Les pièces, en elles-mêmes, avaient peu de valeur ; Byron semblait avoir perdu de sa verve en changeant de quartier. Il fallait trouver quelque chose pour la saison d’automne. C’est alors qu’on songea à Robertson.

Thomas William Robertson, ou plus familièrement Tom, était