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jeune pour les amoureuses de Shakspeare, elle représenta la vieille mère de Claude Melnotte, dans la Dame de Lyon.

C’est à Bristol que l’on commença à lui trouver « quelque chose ». Un acteur de passage, alors très connu, Charles Dillon, jouait Belphégor, gros drame à émotions dont le héros était un saltimbanque. Marie Wilton, en petit garçon, lui donnait la réplique dans une scène à grand effet. Elle inventa un jeu de scène et le risqua à la répétition. L’acteur de Londres se fâcha d’abord brutalement, puis réfléchit, examina, écouta les raisons de la petite actrice et, finalement, céda. Le public fut transporté. Dillon s’en souvint et, rentré à Londres, engagea la petite Wilton au Lyceum. Elle débuta donc, j’ignore toujours la date, et pour cause ; mais ce devait être à la fin de 1858. Belphegor était suivi d’une farce où Marie Wilton avait aussi son petit rôle. Le même soir, au même théâtre, dans la même pièce, paraissait à Londres, pour la première fois, John Toole qui a été et est encore le roi des boulions anglais. Avec ces deux noms, nous entrons dans la période des vivans : nous touchons au théâtre contemporain.

Mais suivons Marie Wilton, car sa petite barque, sans que personne s’en doute et sans qu’elle le sache elle-même, porte les destinées de la comédie anglaise, encore à naître. Du Lyceum elle passe au Haymarket et où elle est traitée en enfant gâtée par les trois vieux qui règnent sur cette scène. Elle joue Cupidon avec tant de verve, de malice, d’impudence et de désinvolture, qu’on lui écrit d’autres Cupidons. Le public est ainsi : naïvement égoïste, il condamne les artistes à garder pendant vingt-cinq ans la posture qui lui a plu, à répéter indéfiniment le geste ou le cri qui lui a paru drôle ou touchant. Marie Wilton jouerait peut-être encore l’Amour au Haymarket si elle ne s’était enfuie au Strand. Là elle fut le boy inévitable de tous les burlesques.

Depuis longtemps Marie Wilton ne joue plus que pour son plaisir, à de rares intervalles, et n’entend pas se donner la fatigue de porter une pièce pendant toute une soirée. Je ne l’ai vue que dans deux rôles épisodiques e, pour juger son talent, je dois m’en rapporter à d’autres témoignages que le mien. M. Coquelin est d’avis qu’elle rappelle à la fois Alphonsine et Chaumont et qu’elle tient le milieu entre les deux. Mais, — en admettant que le souvenir d’Alphonsine soit encore présent à quelques lecteurs, — je dois remarquer que M. Coquelin avait sous les yeux, lorsqu’il écrivait, une actrice de plus de quarante ans qui jouait les femmes du monde excentriques. Il y a loin de là au diablotin de 1860 qui brûlait les planches du Strand. Tout ce que je sais d’elle au temps de ses débuts, c’est qu’elle avait toujours ces yeux terriblement gais qui lui défendaient la Tragédie,