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d’aujourd’hui ne seraient capables de tels efforts. En tout cas l’approvisionnement de charbon ne serait pas suffisant, la dépense par cheval développé s’accroissant singulièrement à mesure que l’on s’élève dans l’échelle des vitesses. Et ce n’est pas tout ! On a déjà fait observer, avec juste raison, que les cuirassés ou les grands croiseurs qui au raient réussi à exécuter ce « raid » épique se présenteraient au combat dans de fâcheuses conditions de stabilité, leurs fonds s’étant allégés d’un millier de tonneaux au moins.

Ainsi le grand bénéfice de l’ouverture du canal des Deux-Mers pour la marine militaire française résulterait non pas tant de la différence des longueurs de la corde (le canal) et de l’arc (le circuit par Gibraltar), différence qui pourrait être rachetée par la supériorité de vitesse de l’adversaire, que de la longueur absolue de cet arc et de l’impossibilité pratique de le parcourir jusqu’au bout avec la vitesse convenable.

La marine allemande, au contraire, ne doit compter avec le canal Guillaume que sur la différence de longueur des trajets, puisque le circuit extérieur peut être parcouru dans un nombre d’heures relativement restreint. En face de la plupart des flottes actuelles, à vitesse moyenne médiocre, c’est encore suffisant ; mais nous avons montré qu’il en existe une, au moins, en présence de laquelle le jeu de navette exécuté sur la ligne intérieure du canal maritime ne réussirait pas toujours, parce que ceux qui l’ont créée surent apprécier en temps utile l’importance du facteur vitesse dans les guerres modernes.

Il y a là un enseignement, et le meilleur : l’exemple, la leçon de choses. Voudra-t-elle en profiter, la marine à laquelle appartient le Dupuy-de-Lôme, et qui, si elle comptait sept ou huit navires de ce type, au lieu d’un seul, se rirait, à son tour, de la flotte allemande et de son canal ?

Il est tard déjà ; il faut se hâter de regagner le temps perdu !… Mais aussi pourquoi cette marine s’est-elle hypnotisée pendant trente années sur la mêlée d’escadre, sur le « corps à corps » de deux mastodontes, sur la lutte insoluble d’un canon géant contre une cuirasse massive ? Pourquoi a-t-elle si longtemps sacrifié les facultés stratégiques, vitesse, rayon d’action, endurance à la mer, aux facultés tactiques et, qui pis est, parmi celles-ci, au stérile armement défensif ?

Ayons donc des unités de combat rapides, des navires qui donnent 17 ou 18 nœuds aussi facilement qu’en donnaient 12 ceux de 1860, et à qui l’on en puisse demander 20 pendant quelques heures sans craindre de les surmener. Avec cet outillage nos marins feront de bonne besogne, et il serait imprudent de les en