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au moment du danger, se laisseront arrêter quand il y aura un intérêt essentiel à passer coûte que coûte ? On ne se met plus comme autrefois, et pour cause, en travers de la route d’un grand navire à vapeur. Tout ce qu’on peut faire, c’est de lui infliger des avaries graves, et encore cela n’est-il point aisé dans un seul et rapide croisement. Au surplus, l’intérêt de réunir leurs forces, serait tel, ici, pour les alliés que le commandant en chef américain n’hésiterait pas à sacrifier sa division légère, cette fois dans une attaque à fond, en la jetant sur l’adversaire qui prétend l’arrêter. Les avantages matériels et l’effet moral de la jonction ne seraient pas, à ce prix, payés trop cher.

Il y a deux conclusions à tirer de notre exemple, de notre type — nullement irréalisable — d’opération stratégique. En premier lieu, et c’est ce que nous avons voulu montrer, la différence entre l’arc et la corde, dans le cas de la péninsule Cimbrique et du canal « Guillaume le Grand », n’est pas assez marquée pour que le bénéfice de la ligne intérieure apparaisse toujours bien nettement. Il faudrait que le canal eût un tracé tout différent, qu’il débouchât dans la mer du Nord à Meldorf-Busum et que sa largeur fût au moins de 100 mètres (nous ne disons rien de la solidité des berges). S’il n’en est pas ainsi ce n’est pas faute d’études et de réflexions, on a pu s’en convaincre en lisant la première partie de cet article. La nature ni la politique n’ont permis de mieux faire.

Il est assez curieux de remarquer, à ce propos, que, dans le cas plus particulièrement intéressant pour nous du canal français des Deux-Mers, la différence entre la route intérieure et la route extérieure, par le détroit de Gibraltar, serait beaucoup plus considérable. Elle le serait assez pour justifier pleinement l’entreprise au point de vue militaire. En effet, pour aller de Toulon à Ouessant, une escadre française marchant à une allure modérée et empruntant la voie intérieure ne mettrait, en dépit des 16 biefs du canal, que quatre-vingt-cinq heures environ. Elle arriverait en pleine possession de ses moyens d’action, ayant du combustible dans ses soutes et des mécaniciens suffisamment reposés.

Pour aboutir au même point (en partant par exemple de la Maddalena) et dans le même laps de temps, l’adversaire devrait régler l’allure de ses machines à 19 nœuds. Or il n’y a pas et il n’y aura pas de longtemps d’escadre qui puisse soutenir cette vitesse pendant quatre-vingt-cinq heures, pendant trois jours et demi ! — Vingt-six heures à 17 nœuds (notre hypothèse de tout à l’heure), c’était déjà beaucoup.

Non, ni le matériel, ni le personnel des marines