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« coup de fouet » que cet événement capital ne peut manquer de donner aux progrès de la puissance maritime allemande.


V

Il ne faudrait guère moins d’un gros volume pour traiter à fond un sujet sur lequel pâlissent en ce moment, sans doute, les états-majors militaires et maritimes des États que nous venons de nommer. Aussi bien une étude poussée un peu loin dans ce sens ne laisserait-elle pas d’offrir des inconvéniens de plus d’un genre. Nous resterons donc dans le domaine des idées générales, où se sont tenus jusqu’ici tous ceux qui ont discuté cette intéressante question.

Et d’abord, si juste que soit la théorie fondamentale sur laquelle se sont appuyés les prôneurs du canal « Guillaume le Grand », doit-on admettre sans conteste que la nouvelle route de navigation ouverte à la marine impériale fournisse à celle-ci la ligne de communication intérieure si recherchée des stratégistes qui veulent racheter l’infériorité des forces actives par la rapidité des mouvemens ? — Non, vraiment. À se contenter d’une vue aussi superficielle, on risquerait d’adopter sur l’efficacité militaire du canal une de ces opinions toutes faites que les Allemands excellent à imposer quand ils y voient un intérêt d’État.

En effet, non seulement cette ligne intérieure n’est pas assez étendue, comme le remarquait M. de Moltke, puisqu’elle ne relie pas d’une manière immédiate les deux bases naturelles de la flotte impériale, Kiel et Wilhelm’shaven ; non seulement (en dépit d’Helgoland, acquis enfin et fortifié aussitôt, mais placé trop loin de l’issue occidentale du canal maritime) les escadres de la Baltique et de la mer du Nord s’exposent à se faire battre séparément, si elles tentent de se réunir en présence de l’adversaire établi au débouché de l’Elbe ; mais encore — et ceci est capital — il n’est pas certain que l’usage de cette route directe intérieure assure toujours à la marine allemande, sur un adversaire obligé de faire, le tour par le cap Skagen, l’avantage essentiel d’une plus grande rapidité de mouvemens.

Paradoxe ! dira-t-on. — Point du tout ; et il nous sera facile d’en faire la démonstration si l’on veut bien nous autoriser à mettre en jeu, dans un thème d’opérations nettement déterminé, des acteurs spécialement choisis.

Eh bien ! supposons l’Allemagne en guerre à la fois avec la Russie et les États-Unis. Admettons aussi — et cette hypothèse