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voisins de l’Est resterait-il au-dessous de leur organisme militaire, arrivé aujourd’hui à un si haut degré de perfection ? — Sait-on bien, sans parler de la puissance absolue d’un empire de 50 millions d’hommes, aussi bien outillé pour les luttes économiques que pour la guerre, et dont la force d’expansion extérieure commence à paraître redoutable à l’Angleterre elle-même, sait-on bien que la marine de commerce allemande est la troisième du monde et qu’elle sera bientôt la seconde, gagnant rapidement du terrain sur celle des États-Unis, tandis que la nôtre, descendue au cinquième rang, s’affaisse tous les jours un peu plus ? Sait-on que, si la population maritime est là-bas sensiblement inférieure à ce qu’elle est chez nous, où l’on compte un nombre considérable de pécheurs, la « population fluviale » y est, en revanche, de beaucoup supérieure, et que cette population fournit de riches et précieux contingens de mécaniciens ? Sait-on qu’avec un plus petit nombre de ports, et des côtes quelquefois assez peu hospitalières, les Allemands balancent presque notre mouvement commercial ; que Hambourg, par exemple, laisse loin derrière lui Marseille et le Havre, ne le cédant en Europe qu’à Londres même ?

Apprécie-t-on comme il convient la valeur des intérêts qu’une émigration depuis longtemps considérable et un Empire colonial déjà étendu créent à l’Allemagne sur tous les points du globe ? Et si l’on contestait que le développement de la marine de guerre fût l’inéluctable conséquence de ces immenses progrès économiques ou de ces grands mouvemens sociaux, ignore-t-on aussi que, de l’aveu de M. de Caprivi, la liberté des arrivages par mer serait indispensable à l’Allemagne, au cours d’une grande guerre, pour se ravitailler, en combustibles, en objets d’alimentation, en matières premières nécessaires à l’industrie ? — Eh bien ! comment maintenir cette liberté, comment être assuré de garder la mer du Nord et la Baltique sans une flotte puissante, sans une flotte dont la composition soit dans un rapport plus exact que l’actuelle avec les besoins économiques et militaires de la nation ?

On ne prétendra pas sans doute que cette grande marine de l’avenir, — de l’avenir le plus rapproché, répétons-le sans nous lasser, — considérerait le méridien des bouches de l’Ems ou celui de Memel comme les limites extrêmes de son champ d’action. Il appartient donc à l’Angleterre, à la Russie, aux Royaumes Scandinaves autant qu’à la France (et cela sans aucun parti pris d’hostilité ou seulement de défiance) d’examiner, chacune en ce qui la concerne, la portée des conséquences politiques qui vont découler, d’abord de l’ouverture même du canal, ensuite du