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sur lui, ou sur ceux qui l’ont approché. Il y a des volumes et des volumes, des brochures et des brochures, qui paraissent chaque jour, qui s’accumulent, qui rendent impossible, par leur nombre, l’établissement d’une biographie complète et définitive.

On n’attend pas, sans doute, que nous établissions point par point le bilan de ces découvertes, ni que nous soulevions toute cette littérature gœthéenne, dont nous comptons cependant quelquefois nous servir. Notre but est autre : il nous a semblé que le moment était venu de relire les œuvres capitales de Goethe ; de les relire en s’aidant des documens principaux qui les éclairent ; de les relire avec un esprit de critique, c’est-à-dire en cherchant à se dégager autant que possible des jugemens portés sur elles ; à comprendre leur signification par rapport à leur auteur et par rapport à nous-mêmes ; à mesurer leur importance dans le mouvement littéraire qui les a suivies. Ces œuvres sont, pour ainsi dire, restées au répertoire, en ce sens du moins que les lettrés les lisent quelquefois, que les demi-lettrés les invoquent souvent, que les illettrés croient les connaître : nous voudrions les considérer à peu près comme des œuvres contemporaines, parues, entrées d’hier, dans notre vie intellectuelle ; nous voudrions croire que les jugemens sur elles ne sont point encore fixés, et fixer le nôtre, et tâcher d’influencer celui de quelques-uns. Si l’expression n’était pas outrecuidante, nous dirions que nous allons tenter de réviser le procès du grand Goethe, sans nous figurer, — est-il besoin de le dire ? — que notre jugement sera définitif, mais en cherchant simplement à le mettre d’accord avec l’esprit actuel. Besogne beaucoup plus modeste qu’elle ne le paraît d’abord, espèce de « rapport » où nous ne serons que greffier. Il est naturel que nous commencions notre tâche par celui des livres de Gœthe où nous avons le plus de chances de trouver son intelligence et son cœur, et où nous trouverons, en tout cas, l’image qu’il désirait laisser de lui-même, par ses Mémoires.


I

C’est en 1808, au moment où parut la première édition, en douze volumes, de ses Œuvres complètes, que Gœthe sentit la nécessité d’écrire ses Mémoires pour éclairer ses ouvrages. Un petit nombre d’entre eux, en effet, comme Iphigénie, avaient, si l’on peut dire, une existence indépendante. La plupart, au contraire, restaient comme attachés à leur auteur, en relations étroites avec les circonstances personnelles qui les avaient produits. Werther, Weslingen dans Gœtz, Tasso, Wilhelm Meister, Clavijo, Fernand dans Stella,