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pourra rester ouverte que quelques heures par jour, lorsque le mouvement de la marée rapprochera le niveau de l’Elbe de celui du canal. Encore la crainte de laisser s’introduire les sédimens que les eaux de l’estuaire tiennent en suspension imposera-t-elle des limites étroites à la durée de l’ouverture des portes.

Malgré la haute valeur technique de la « commission impériale » qui a présidé à l’achèvement du canal, certaines parties de cette grande œuvre laissent à désirer. Il semble que l’on se soit plus préoccupé d’arriver au terme dans les délais fixés, et de ne pas dépasser les prix de revient admis en 1886, que de donner à l’entreprise un caractère durable et définitif. On reconnaît là, d’une part, l’influence personnelle de l’empereur régnant, toujours attentif à frapper les imaginations, de l’autre, cette tendance générale, et peut-être inconsciente dans une certaine mesure, de l’Allemagne actuelle à produire bon marché et médiocre, — schlecht und billig.

Quoi qu’il en soit, les revêtemens des berges sont presque partout insuffisans pour en assurer la solidité ; quelques courbes sont trop prononcées — un peu moins de 1 000 mètres de rayon — parce qu’on a voulu profiter le plus possible de la tranchée de l’ancien canal ; enfin, pris dans leur ensemble, les profils en travers qui ont été adoptés ne prévoient pas, entre la section d’eau et le maître-couple des carènes, un rapport convenable pour le cheminement rapide des grandes unités de combat.

Voilà, pour le temps de guerre, trois inconvéniens fort graves qui se traduiraient par l’augmentation de la durée du trajet et aussi par une incertitude pénible sur l’issue des traversées.

Faut-il admettre maintenant que tous les navires qui figurent sur la liste de la flotte allemande se serviraient de la nouvelle route maritime ? Au premier abord, le doute semble permis. Il y a là quatre cuirassés neufs, du poids de 10 000 tonnes et qui s’enfoncent dans l’eau de 8m, 50. Assurément, les pilotes du canal ne répondaient pas de conduire sans encombre le Wörth et ses trois frères, de Kiel à Brunsbüttel. Ils n’oseraient s’engager davantage, aujourd’hui, pour le vieux König-Wilhelm transformé, qui cale à peu près autant que le Wörth, ni pour le grand croiseur Kaiserin Augusta, long de 118 mètres. Or, ces navires de combat constituent justement le noyau de l’escadre offensive allemande. Mais on apprécierait mal la ténacité de nos voisins, et l’on risquerait d’entretenir de fâcheuses illusions sur le véritable rôle qu’ils destinent au canal maritime, si l’on pensait qu’ils se résigneront à n’utiliser cette ligne intérieure que pour les élémens défensifs de leur force navale. Coûte que coûte, en temps