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les côtes de la Baltique, soit sur celles de la mer du Nord. En cas de menace contre le canal, trois voies de chemins de fer conduiraient en quelques heures ses têtes de colonne à Kiel, Rendsburg, Grünthal et Brunsbüttel, les quatre points essentiels de la ligne du canal maritime. Rendsburg même, le vrai point de manœuvres de la région, recevrait des établissemens militaires qui permettraient d’en faire un débouché commode et une sérieuse base d’opérations pour les corps qui défendraient le Schleswig. D’ailleurs l’augmentation de puissance qu’une ligne de communication intérieure devait donner à la flotte allemande n’élnit-elle pas la meilleure garantie contre un débarquement ?…

Toutes ces raisons, mûries par des réflexions personnelles, finirent par convaincre le chef du grand état-major, dont l’opposition cessa vers 1883. C’était un grand pas de fait. Lorsqu’il fut bien acquis que l’intérêt militaire et particulièrement celui de la marine impériale, très populaire en Allemagne, étaient en jeu dans le percement du canal, il se produisit un revirement d’opinion dont l’habile chancelier de l’Empire s’empressa de profiter. L’affaire fut mise aux enquêtes, comme nous dirions en France, au mois d’octobre 1883 ; mais, reconnaissant qu’il n’était guère possible de faire fond sur l’initiative privée pour une entreprise aussi considérable, M. de Bismarck soumit au Bundesrath et au Reichstag, en 1885-86, un projet de creusement du canal maritime par les États confédérés. Le coût total, arrêté définitivement à 156 millions de marks (195 millions de francs), devait être réparti au prorata de la contribution de chacun des États aux dépenses générales de l’Empire. La part de la Prusse s’élevait à 50 millions de marks (62 500 000 francs).

Le chancelier fit entendre, au surplus, que ces fonds seraient pris pour la plus grande part sur le reliquat de l’indemnité versée par la France. Les vaincus payaient ainsi la route militaire de la flotte impériale, après avoir payé les chemins de fer stratégiques de l’armée allemande et ses grandes forteresses. Cette proposition, qui faisait jouer à « l’ennemi héréditaire » le rôle qui convient, emporta tous les suffrages. Le 16 mars 1886, était promulguée une loi de l’Empire dont le premier paragraphe ne laisse aucun doute sur le but réellement poursuivi :

« Nous, Guillaume, par la grâce de Dieu, empereur allemand, roi de Prusse, etc., au nom de l’Empire, avec l’assentiment du Bundesrath et du Reichstag, ordonnons ce qui suit :

« Il sera établi, pour l’usage de la flotte militaire allemande, un canal maritime allant, par Rendsburg, de l’embouchure de l’Elbe à la baie de Kiel, » etc., etc.