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Frédéric VII, suivie presque aussitôt de la seconde guerre des Duchés, vint ajourner la solution d’une question à laquelle la sagesse de la maison de Holstein avait préparé l’issue la plus favorable à la satisfaction des intérêts de l’Allemagne du Nord en même temps qu’au maintien de la paix.

Il était nécessaire de rappeler ces choses, qui sont peu connues en France, qui le sont beaucoup mieux en Allemagne, mais que les Allemands paraissent avoir oubliées. Car leur mémoire est tantôt fidèle, tantôt infidèle, au gré de leurs visées politiques ou de leurs antipathies de races, et nul peuple — pas même les Italiens — n’a poussé aussi loin, devant tant de choses à ses voisins, l’art de se persuader qu’il ne doit rien à personne.


II

On sait qu’après cette déplorable guerre de 1864, d’où l’on peut dater l’abaissement de notre pays, le sort des duchés de l’Elbe fut l’objet de négociations embrouillées en apparence, mais dont tous les fils aboutissaient à Berlin. La Prusse, qui avait affecté de prendre en mains avec un zèle désintéressé la cause des Allemands opprimés du Schleswig-Holstein, n’osa pas démasquer immédiatement ses batteries. Pourtant, dès le mois de février 1865, le comte de Bismarck présentait au candidat le plus en vue pour la couronne ducale, Frédéric d’Augustenbourg, un projet de convention qui confiait au gouvernement royal l’administration des postes et télégraphes, qui incorporait les contingens dans l’armée prussienne et qui remettait à la Prusse une bande de territoire suffisante — Kiel compris ! — pour la création d’un canal maritime. En 1865, les princes allemands n’étaient pas encore assouplis à la soumission. Frédéric d’Augustenbourg refusa de devenir un préfet de M. de Bismarck, et sa candidature fut écartée[1].

Les plans du canal dont il était question, fournis par l’ingénieur prussien Lentze, présentaient cette nouveauté d’une tranchée au niveau moyen de la mer, avec une seule écluse au débouché dans l’Elbe, écluse que le mouvement des marées rendait

  1. « C’est la campagne diplomatique dont je suis le plus fier, » disait M. de Bismarck à Varzin, en 1877. — « Dès le début, vous vouliez les duchés, lui répondit le baron von Holstein. — Oui, répliqua le chancelier, certainement, et aussitôt après la mort du roi de Danemark. Mais c’était une affaire difficile… plusieurs coteries à la cour, les petits États allemands, l’Autriche, les Anglais qui ne voulaient pas nous laisser prendre le port de Kiel… » etc., etc. (Le Prince de Bismark, sa vie et son œuvre, par Mme Marie Dronsart.)