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traversées ; elle semblait accourcir les distances. Mais, par une pente inévitable, les peuples qu’elle rapprochait ne se trouvaient jamais assez proches et s’impatientaient des moindres retards. D’ailleurs le nouveau mode de navigation était plus cher que l’ancien, qui ne mettait en œuvre que des forces fournies gratuitement par la nature. Il fallait donc couper au plus court, supprimer les obstacles. Dès lors toute presqu’île devenait ennemie. D’autre part, le prix du navire s’était élevé. On trouvait donc avantage à augmenter ses dimensions, afin que, par le transport d’une plus grande quantité de marchandises, chaque voyage fût plus rémunérateur. Ces transformations du véhicule commandaient celle de la voie de communications, là du moins où elle dépend de l’homme, et l’on sentit bientôt la nécessité des canaux maritimes, des canaux larges, profonds, autant que possible sans écluses.

C’est à partir de 1848-49 — il n’était point encore question du canal de Suez — que l’on voit naître, en faveur d’une communication directe entre les deux mers du nord de l’Europe, les projets de tranchée à grande section. Dès cette époque aussi s’accusent nettement, par les tracés mêmes, les divers intérêts en jeu dans cette capitale affaire :

Intérêts locaux, en premier lieu. Les ports de l’Elbe, d’un côté, Lübeck, de l’autre, veulent prendre leur revanche du canal de l’Eider, qui leur dérobe une grande part du commerce de transit. Il ne faut donc pas que le canal projeté s’écarte du pédoncule de la presqu’île : c’est de Glückstadt, de Störort, de Brunsbüttel, de St-Margarethen, que l’on partira. C’est dans la baie de Neustadt, dans le Lübeckerbucht qu’on aboutira.

L’intérêt allemand ensuite, et même déjà l’intérêt militaire. On est à l’époque de la guerre des Duchés, la première, celle qui se termina par la victoire du Danemark, mais qui avait commencé par des revers. A peine « affranchis », les libéraux-nationaux du Holstein s’étaient hâtés de présenter un projet de canal de Brunsbüttel à Kiel, pour ouvrir les deux mers à cette flotte allemande que l’éphémère Parlement de Francfort entrevoyait dans ses rêves. Rêves, en effet, ce canal et cette flotte, mais réalités pourtant, cinquante années plus tard.

Enfin l’intérêt du commerce pur et simple, l’intérêt international ; et ce dernier, auquel s’attache aussitôt le Danemark, par un juste instinct politique, se traduit par des projets fort bien étudiés d’un certain nombre d’ingénieurs étrangers à l’Allemagne, des Anglais, des Américains, des Belges, un Français même, comme on l’a rappelé.

Malheureusement deux années de guerre et de révolution,