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marchandises étaient réexpédiées pour Gotheborg, pour Danzig, pour Riga.

En dépit des frais qu’entraînait ce double transbordement, les services rendus par le canal de la Stecknitz furent si appréciés que l’on voulut, au bout d’un siècle et demi, le doubler d’une nouvelle coupure, qui établirait une communication plus courte entre Lübeck et sa jeune rivale, Hambourg, dont la puissance grandissait rapidement. Mais l’Allemagne entrait alors dans la longue période de troubles religieux et politiques qui a retardé presque jusqu’à nos jours le développement de ses industries. Le canal Alster-Beste (du nom des deux affluens de l’Elbe et de la Trave qu’il reliait) ne fut jamais achevé, non plus du reste que les trois canaux dont les rois de Danemark Christian III et Christian IV avaient arrêté les tracés dans le Schleswig du Nord, au XVIe et au XVIIe siècle.

Aussi, en creusant de l’Eider à la baie de Kiel, il y a quelque cent dix ans, une route de navigation accessible à la plus grande partie des bâtimens de mer employés alors, le gouvernement danois rendait-il au commerce du nord de l’Europe un service signalé. Pour en célébrer le bienfait, un concert de louanges s’éleva dans toute l’Allemagne. Eloges mérités, certes ; car, pour concevoir et achever un dessein si préjudiciable aux intérêts du Danemark lui-même, il avait fallu au roi Christian et au prince Frédéric, avec une rare élévation d’esprit, une constance plus rare encore et surtout un effort soutenu d’impartialité politique. Tout ce qui allait passer par le nouveau canal n’était-il pas en effet perdu pour les Belt et pour le Sund ? Outre qu’il était douteux que les finances de l’État pussent recouvrer du côté de l’Eider, par le rendement du capital engagé, ce qui leur manquerait du côté des détroits, les ports exclusivement danois, Elseneur, Odensée, Nyborg, Frédéricia, faisaient entendre de vives plaintes.

Mais Christian et Frédéric considéraient comme un devoir étroit de tenir la balance égale entre les deux parties de la monarchie, entre l’archipel, de langue Scandinave, et les duchés de la péninsule Cimbrique, dont la population appartenait en majorité à la langue tudesque. Au reste, le temps n’était pas encore arrivé où les agens de certaine puissance intéressée à semer la division découvriraient aux sujets allemands de la maison de Holstein que celle-ci négligeait leurs intérêts. En fait, pendant soixante années, le canal de l’Eider suffit aux besoins du commerce de la Baltique et fut pour la région qu’il traversait la source de revenus considérables.

La vapeur était venue, cependant. Elle abrégeait les