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l’esprit par les habitudes de travail, de prudence, de patience et de modestie qu’il donne infailliblement, à ceux, bien entendu, qui les ont déjà.

Et, donc, purifier la science de tous les résidus métaphysiques qu’elle contient encore, et, très particulièrement, comme Buffon le voulait déjà, de l’idée de finalité, voilà le second projet du philosophe positiviste.

Le troisième est de systématiser les sciences, de manière à en former un corps de doctrines, une philosophie. Ce projet, comme nous en avons averti, est le plus important des trois parce qu’il y a quelque chose de très particulier dans le conflit entre la science et la théologie persistante et la métaphysique résistante. Dans ce conflit, ce n’est pas la science qui lutte contre la théologie et la métaphysique, c’est l’esprit scientifique qui lutte contre la métaphysique et contre la théologie parce que métaphysique et théologie sont constituées, la science ne l’est pas. Ce n’est donc ici qu’un tour d’esprit, qu’une habitude intellectuelle qui lutte contre des doctrines établies, organisées et solides. Ce qu’il faudrait c’est que la science, animée tout entière du même esprit, soutenue de la même méthode, solidement engrenée, de manière que chacune de ses parties, liée aux autres, appuyât les autres et fût appuyée par elles, tout entière présentât un corps de doctrines capables de satisfaire l’esprit et de lui donner une assiette ferme. En un mot, il faudrait tirer de la science une philosophie et constituer une philosophie exclusivement scientifique.

Il y aurait à cela un immense avantage. D’abord cette philosophie répondrait au tour d’esprit signalé plus haut ; elle serait de notre âge. Ensuite, ferme et consistante en ses idées générales, elle serait mobile et progressivement évolutive, comme la science même. La théologie a pour caractère, une fois constituée, d’être immobile. La métaphysique a pour caractère de tellement dépasser les faits que les faits nouveaux ne l’émeuvent pas ; les faits qu’on découvre, s’ajoutant à ceux qu’on a découverts, passent au-dessous d’elle et ne la touchent point, et c’est ainsi qu’elle est aussi immobile que la théologie. La philosophie scientifique pourrait probablement, sans jamais changer ni d’esprit ni de méthode, avoir une plus grande élasticité et comme une faculté de compréhension progressive. Elle aurait des chances ainsi de constituer un troisième état qui serait plus durable que les deux autres, ou plutôt de faire du troisième état, où nous sommes déjà, un état qui serait définitif. Il faut donc essayer de systématiser les sciences pour en tirer une philosophie, extraire de l’ensemble