mille fois. Si le fait que j’ai observé ne s’y reproduit que de temps en temps, j’abandonne l’hypothèse ; la voilà morte. Si le fait se reproduit mille fois, l’hypothèse est vérifiée, elle est une loi : donc elle n’est plus une hypothèse ; comme hypothèse la voilà morte. Les entités ou les lois universelles que nous avons appelées métaphysiques ne sont pas de même nature. Elles ne sont pas destinées à s’absorber dans les faits dont elles auront provoqué la découverte ; elles sont destinées à les dépasser toujours. Rien ne prouvera jamais l’existence du principe vital considéré comme force à part dans le tourbillon d’une vie animale. C’est une hypothèse agréable à l’esprit, qui paraîtra toujours vraisemblable et ne se vérifiera jamais, parce qu’elle domine trop les faits pour y rentrer et s’y perdre. Rien ne prouvera jamais l’existence du moi distinct des phénomènes psychologiques. C’est une conjecture commode, mais qui planera toujours sur les faits sans qu’il y ait aucune raison pour qu’elle se confonde avec eux et s’évanouisse à s’y incorporer. Rien ne prouvera jamais la finalité. C’est une vue générale très séduisante et très satisfaisante, mais qui n’est pas vérifiable parce qu’elle trangressera toujours les faits qu’elle prétend expliquer. Ils n’y entreront jamais de manière à la remplir. Elle ne disparaîtra donc jamais, elle n’est pas destinée à disparaître. C’est pour cela qu’elle est fausse a priori : c’est pour cela qu’elle n’a pas le caractère d’hypothèse scientifique. L’éternité probable d’une hypothèse est sa condamnation. Une hypothèse n’est recevable qu’autant qu’elle est caduque, qu’autant qu’on peut prévoir qu’elle n’aura pas la vie longue, puisque c’est sa mort même qui doit être son triomphe. La science repousse donc les hypothèses qui ont l’air de vouloir être immortelles : c’en est la marque.
De plus, ces résidus métaphysiques que contient encore la science, sans compter qu’ils favorisent la paresse d’esprit en le payant de mots, l’inclinent à la métaphysique proprement dite. Rien n’est plus sain à l’esprit humain que de grouper des faits et d’en chercher les lois ; rien ne lui est plus dangereux que de croire découvrir des causes. La cause trouvée, ou crue découverte, il se repose sur elle, explique tout par elle, et ne cherche plus rien. Les phénomènes les plus intéressans passent devant lui sans qu’il se baisse pour les étudier. Il arrive à une sorte d’extase continue qui l’endort et le paralyse. Il y a une sorte de fatalisme intellectuel qui est un produit assez ordinaire, presque nécessaire, du moins très naturel, de l’esprit métaphysique.
Il y a plus encore. Une cause trouvée ou crue découverte, c’est une espèce de Dieu qu’on adore jalousement, et avec une