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métaphysique. Ces prétendues solutions « présentent évidemment le caractère essentiel des explications métaphysiques », à savoir « la simple et naïve reproduction en termes abstraits de l’énoncé même du phénomène. » Les pierres lancées de la terre y retombent. La cause en est l’attraction, nous dit-on. Cela veut dire : « Les pierres lancées de la terre y retombent. » Absolument rien de plus. Disons donc : « Les pierres lancées de la terre y retombent, » ce qui est une loi, et ne parlons pas d’attraction, ce qui a l’air d’être une cause, et ce que, l’esprit tout pénétré d’imagination métaphysique, nous allons prendre pour une cause, et vaguement pour un être, dans cinq minutes. Toutes les sciences possibles sont ainsi peuplées d’entités dont on pourrait faire tout un système allégorique, et rien n’est plus naturel ; car ces trois états, théologique, métaphysique, scientifique, et même ces cinq états, fétichique, polythéique, monothéique, métaphysique, scientifique, par lesquels l’humanité a passé, chaque science y a passé elle-même ; ou plutôt, ce qui revient au même, chacun de ces états étant simplement le résumé des tendances de l’esprit humain, l’esprit humain, en chacun de ces états, n’étudiait chaque science qu’avec des tendances dominées par ce penchant général, et à chaque science a donné successivement un tour fétichique, un air polythéique, une couleur monothéique et un caractère métaphysique ; et c’est des résidus de tout cela qu’il faut nettoyer la science actuelle.

Mais la plus métaphysique et la plus détestable des entités, c’est la finalité. L’ancienne conception de l’univers se ramenant toujours à considérer ce qui s’y passe comme analogue à ce que fait l’homme. De même que l’on considérait un arbre comme un homme qui lève les bras au ciel, et la mer tempéteuse ou le ciel tonnant comme un homme en colère, de même, l’homme agissant toujours dans un dessein et en vue d’un but, on considérait l’univers comme une œuvre ayant un but, dirigée par une volonté, présidée par une intention, marchant où quelqu’un la guide, et chaque partie de l’univers, tout pareillement, comme une fin où a tendu une intention, en même temps que comme un moyen tendant à une fin plus générale. Ainsi, la terre n’est ni trop froide ni trop chaude pour nous tuer, ni trop molle ni trop dure pour notre poids et pour nos charrues : c’est qu’elle a été faite pour nous, pour nous servir de séjour et d’empire. Elle a été composée de telles et telles matières pour être ce qu’elle est, voilà un premier dessein ; elle est ce qu’elle est pour que nous y puissions vivre, voilà un second dessein plus général ; nous y vivons pour une fin plus générale encore et plus haute que c’est à nous