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science de ce qu’elle a gardé en elle-même de l’esprit théologique et métaphysique, et ceci est le plus important, parce que, de ce qu’elle en garde ainsi, elle soutient d’autant l’esprit rival et prolonge l’existence de son ennemi par elle-même aux dépens d’elle-même ; — enfin systématiser les sciences et en former un seul corps, animé d’un esprit unique très nettement déterminé, et ceci est le plus important, parce que la science a cette infériorité sur les principes anciens d’être multiple au lieu qu’ils étaient uns : il y a eu la religion ; il y a eu la métaphysique ; mais c’est jusqu’à présent, par une sorte de complaisance littéraire, qu’on dit la science : il y a des sciences, séparées les unes des autres ; il faut pour qu’elles soient fortes qu’elles soient ramenées à l’unité ; et c’est pourquoi la systématisation des sciences est le plus important des trois projets que nous venons de former.

Le premier va de soi, et la réalisation en est presque achevée. C’est précisément la tâche que le XVIIIe siècle s’est donnée et a accomplie, la tâche destructrice. Sur ce point, il n’y a qu’à le répéter ; redire que par définition le surnaturel est inaccessible à l’homme, qui est naturel ; redire que la métaphysique est le rêve d’un être qui, saisissant des lois, croit saisir des causes, ou la rhétorique d’un homme d’esprit qui, donnant un nom à une loi, la voit dès lors, par une sorte d’allégorie, comme un être réel et un petit dieu vivant. Tout cela a été dit, doit être répété tant qu’il y aura des gens qui n’en seront pas convaincus, mais peut être laissé comme tâche aux ouvriers en sous-ordre de la réforme intellectuelle. Et précisément ce sera l’office des héritiers attardés du XVIIIe siècle, des légataires de l’esprit négatif, des hommes qui ne vont pas plus loin qu’à dire : « Nous repoussons les anciennes croyances. » Il faut bien qu’ils servent à quelque chose.

Le second projet est plus vaste, plus minutieux aussi, et plus rude. C’est une sorte d’épuration des différentes sciences pour les purger de ce qu’elles gardent en elles-mêmes d’esprit théologique et d’esprit métaphysique. Ce n’est pas si peu qu’on pourrait croire. Les physiciens parlent du « fluide électrique » et de l’« éther lumineux », les chimistes, des « affinités », comme si c’étaient des êtres très puissans mettant en mouvement la matière parce qu’ils le veulent ; les biologistes parlent du « principal vital » et des « forces vitales », comme s’ils étaient des personnages qu’ils auraient vu tendre les tissus et charrier le sang ; les psychologues parlent du moi comme si, au fond de l’homme, il y avait un homunculus, prenant conscience de tout ce qui se passe dans la machine humaine et la dirigeant. Ce sont là des entités toutes gratuites, produits de l’imagination spéciale qui est l’imagination