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qu’à celle-ci était lié le suffrage universel inorganique, de celle-là découlerait, pour le plus grand bien de l’État et de l’individu même, le suffrage universel organisé.


VII. — LÉGITIMITÉ THÉORIQUE ET NÉCESSITÉ POLITIQUE D’UNE ORGANISATION DU SUFFRAGE UNIVERSEL

Cette substitution de la notion de vie à la notion de souveraineté et du suffrage universel organisé au suffrage universel inorganique, qui est théoriquement légitime, est-il besoin d’ajouter qu’elle est politiquement nécessaire ? Nous n’avons que ce choix : organiser le suffrage universel selon la vie et sur la vie, pour vivre, ou mourir du suffrage universel inorganique ; — ce qui revient à dire que nous n’avons pas le choix.

Il n’y a plus à se repaître ni à se bercer des songeries d’antan. Juger le suffrage universel comme on le jugeait avant 1848, c’est proprement une façon de penser préhistorique, dans notre monde, à nous, dans le monde que le demi-siècle écoulé depuis lors nous a fait et que le temps présent travaille à nous faire.

Depuis 1848, d’autres élémens sont entrés en ligne, et ont même réussi à se faire leur place dans le Parlement, qui ne visent plus à détruire l’État, mais à se faire de l’État un instrument pour refondre la société. Ils marchent à l’assaut du pouvoir ; ils se vantent déjà d’avoir pour eux le nombre ; et par eux, à la faveur du suffrage universel inorganique, ce sont les luttes de classes qui tendent à reparaître et à se renouveler. S’il ne saurait rien y avoir de plus désastreux, il faut arrêter, modérer ou contenir ces élémens : aux forces qui les portent et les poussent, il faut opposer quelque force. Et puisque l’on se sert du suffrage universel inorganique, en vue d’une révolution sociale, il faut, en vue de l’ordre et du progrès social, se réfugier dans le suffrage universel organisé.

La force à opposer au nombre, elle n’est pas ailleurs : elle est là. Il faut organiser le suffrage universel. Il faut, dans le suffrage universel, former comme une espèce de brise-lames et présenter à la vague montante comme des compartimens, comme des cloisons étanches.

Que seront-ils, ces brise-lames ? et ces cloisons, que seront-elles ? Toutes les vies vivant dans l’État, qui vivent dans la nation. Au même problème toujours plus pressant, toujours plus urgent, quelle sera la solution ? Toujours une seule ; toujours la même : organiser le suffrage universel. Qu’opposerons-nous à cet excès d’individualisme, qui, chez l’électeur, débride l’anarchie et, chez l’élu, annule la personnalité, tout en n’obéissant qu’à deux forces :