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Il tenta de sourire. Il entrevit la blancheur des dents d’Hippolyte, qui lui souriait.

— Veux-tu que je t’aide à te vêtir ?

— Non. Je m’habille à l’instant. Va, va ; je te rejoins, murmura-t-il d’un air ensommeillé.

— Alors je remonte. J’ai trop faim. Habille-toi vite et viens.

— Oui, tout de suite.

Il entendit le grincement du sable sous les pas qui s’éloignaient. Le grand silence reprit possession de la plage. Par intervalles arrivait du rivage et des roches voisines un clapotement léger, un bruit faible pareil à celui que font les animaux qui boivent à l’abreuvoir.

Quelques minutes passèrent, pendant lesquelles il lutta contre un accablement qui menaçait de tourner en léthargie. Enfin il se mit sur son séant, avec effort ; il secoua la tête pour dissiper le brouillard de sa pensée ; il regarda autour de lui avec égarement. « Oh ! si, en me recouchant, je pouvais ne plus me relever ! Mourir ! ne jamais la revoir ! » Il se sentait atterré par la certitude que, dans quelques instans, il devrait revoir cette femme, il devrait se tenir près d’elle, il devrait recevoir encore ses baisers, il devrait entendre encore ses paroles.

Avant de commencer à se vêtir, il hésita. Plusieurs idées folles lui traversèrent le cerveau. Puis, il s’habilla machinalement. Il sortit de la tente, et l’éblouissement lui fît fermer les yeux. À travers le tissu des paupières, il vit une grande clarté rouge. Il eut un léger vertige.

Lorsqu’il rouvrit les yeux, le spectacle des choses extérieures lui causa une sensation inexprimable. C’était comme s’il eût revu ces choses après un temps indéfini, dans une existence différente.

La grève, fouettée par le soleil, avait une blancheur de chaux. Sur l’immense et lugubre miroir de la mer, le ciel incandescent paraissait s’affaisser de seconde en seconde, alourdi par un de ces mornes silences qui accompagnent l’attente d’une catastrophe inconnue. Les promontoires sablonneux, avec leurs grandes anses désertes, élevaient au-dessus des récifs noirâtres, pareilles à des tours, leurs crêtes où les oliviers se dressaient contre le soleil torride dans des attitudes de colère et de folie. Allongé sur les roches et semblable à un monstre aux aguets, le Trabocco avec ses nombreux engins avait un aspect formidable. Dans l’enchevêtrement des poutres et des cordages, on distinguait les pêcheurs penchés sur les eaux, fixes, immobiles comme des bronzes ; et sur leurs vies tragiques pesait le sortilège mortel.

Tout à coup, dans l’embrasement et dans le silence, une voix