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saines, par l’absorption complaisante de l’eau salée et du rayon. Comment se pouvait-il qu’elle fût en même temps si malade et si valide ? Comment se pouvait-il qu’elle conciliât en son être tant de contradictions, qu’elle prît tant d’aspects divers en un seul jour, en une seule heure ? La femme taciturne et triste qui couvait le mal sacré, la maladie astrale ; l’amante avide dont les ardeurs étaient presque effrayantes, cette même créature, debout sur le rivage de la mer, avait des sens capables de recueillir et de savourer toutes les naturelles délices répandues dans les choses environnantes, d’apparaître semblable aux simulacres de la Beauté antique inclinées sur le cristal harmonieux d’un Hellespont.

Elle avait évidemment une résistance supérieure. George la considérait avec un dépit qui, se condensant peu à peu, finissait par prendre la gravité d’une rancune. Le sentiment de sa propre faiblesse se troublait de haine, à mesure que sa perspicacité devenait plus lucide et presque vindicative.

Ils n’étaient pas beaux, ces pieds nus que tour à tour elle réchauffait sur la grève et rafraîchissait dans l’eau ; ils avaient même les doigts déformés, plébéiens, sans aucune finesse ; ils portaient l’empreinte évidente d’une origine inférieure. Et il les regardait attentivement ; il ne regardait qu’eux, avec une extraordinaire clairvoyance de perception, comme si les détails de leur forme eussent dû lui révéler un secret. Et il pensait : « Que de choses impures fermentent dans ce sang-là ! Tous les instincts héréditaires de sa race subsistent en elle, indestructibles, prêts à se développer et à s’insurger contre une contrainte quelconque. Je ne réussirai jamais à la rendre pure. Je ne pourrai que superposer à sa personne réelle les images changeantes de mes rêves… « Mais, tandis que son intelligence réduisait cette femme à n’être qu’un simple motif pour son imagination et ôtait toute valeur à la forme tangible, l’acuité même de la perception actuelle lui faisait sentir que ce qui l’attachait le plus, c’était précisément la qualité réelle de cette chair, et non pas seulement ce qu’il y avait de plus beau, mais surtout ce qu’il y avait de moins beau. La découverte d’une laideur ne relâchait pas le lien, ne diminuait pas la fascination. Les traits les plus vulgaires exerçaient sur lui une attraction irritante. Il connaissait bien ce phénomène qui s’était souvent répété. Souvent ses yeux, avec une clairvoyance parfaite, avaient vu s’accentuer les défauts sur la personne d’Hippolyte ; et ils en avaient subi longuement l’attraction, ils avaient été contraints de les fixer, de les examiner, de les exagérer. Et dans ses sens, dans son esprit, il avait éprouvé un trouble indéfinissable, suivi presque toujours d’une soudaine ardeur de