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parmi les rameaux. — Dans la robe de la Madone fugitive et poursuivie par les Pharisiens, l’Enfant-Jésus se changeait en froment qui déborde. Caché dans la huche, il faisait lever la pâte du pain et la rendait inépuisable. Sur les lupins secs et épineux qui avaient blessé les doux pieds de la Vierge, une malédiction pesait ; mais le lin était béni, parce que ses houles avaient ébloui les Pharisiens. Béni aussi l’olivier, pour avoir donné asile à la Sainte Famille dans son tronc ouvert en forme de cabane et pour l’avoir éclairée de son huile pure ! béni le genévrier, pour avoir tenu l’Enfant enfermé dans ses touffes ! et béni le houx, pour le même service courtois ! et béni le laurier, parce qu’il pousse sur le sol arrosé par l’eau où a été lavé le Fils de Dieu.

Comment échapper à la fascination du mystère qui, se répandant sur toutes les choses créées, les transfigurait en signes et en emblèmes d’une autre vie ?

Sentant ces suggestions provoquer en lui le soulèvement confus de toutes ses tendances mystiques, George pensait : « Oh ! si je possédais la vraie foi, cette foi qui permettait à sainte Thérèse de voir Dieu réellement dans l’hostie ! » Et ce n’était pas un désir vague et momentané ; c’était une profonde et fervente aspiration de toute son âme ; et c’était aussi une extraordinaire angoisse qui bouleversait tous les élémens de sa substance ; car il croyait se trouver devant le secret de son malheur et de sa faiblesse. Comme Démétrius Aurispa, George était un ascétique sans Dieu. Et il lui réapparut, l’homme doux et méditatif, ce visage plein d’une mélancolie virile auquel donnait une expression étrange la boucle de cheveux blancs mêlée aux cheveux noirs sur le milieu du front.

Démétrius était son père véritable. Par une surprenante coïncidence de noms, cette paternité spirituelle semblait consacrée par la légende inscrite autour du merveilleux ostensoir donné par les ancêtres et conservé à Guardiagrele dans le trésor de la cathédrale.

† Ego Demetrius Aurispa et unicus Georgius filius meus donamus istud tabernaculum Ecclesiae S. M. de Guardia, quod factum est per manus abbatis Joannis Castorii de Guardia, archipresbyteri, ad usum Eucharistiae.

† Nicolaus Andreæ de Guardia me fecit. A. D. MCCCCXIII.

Tous deux en effet, êtres d’intelligence et de sentiment, portaient l’hérédité mystique de la maison Aurispa ; tous deux avaient l’âme religieuse, inclinée au mystère, apte à vivre dans une forêt de symboles ou dans un ciel de pures abstractions ; tous deux aimaient les cérémonies de l’église latine, la musique sacrée, le