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mystique qui tenait aux racines de la grande race indigène d’où lui-même était sorti.

La procession disparut dans la courbe de la côte, puis reparut au sommet du promontoire, dans la clarté, puis disparut de nouveau. Et le chant, à travers le lointain nocturne, se voila, s’adoucit, se fit si léger que la modulation lente et uniforme de la mer calme l’éteignait presque…


IV

Maintenant, ce n’était plus Hippolyte qui proposait les longues excursions, les longues explorations. Condamné « à attendre toujours la vie », il croyait aller au-devant d’elle, la trouver et la cueillir dans les réalités sensibles. Il cherchait maintenant avec une curiosité factice des choses à peine capables de remuer effectivement la superficie de l’âme, mais non pas de la pénétrer et de l’agiter dans sa substance. Il s’efforçait de découvrir entre son âme et certains objets des rapports qui n’existaient pas ; il s’efforçait de secouer l’indifférence qui était au fond de lui-même, cette indifférence inerte qui l’avait si longtemps rendu étranger à toute agitation extérieure. Recueillant tout ce qu’il possédait de facultés perspicaces, il s’efforçait de retrouver quelque vivante ressemblance entre son être propre et la nature environnante, afin de se réconcilier filialement avec cette nature et de lui vouer une fidélité éternelle.

Mais elle ne se réveilla point en lui, cette émotion extraordinaire qui l’avait plusieurs fois exalté et émerveillé aux tout premiers jours de sa demeure dans l’Ermitage, avant l’arrivée de l’aimée. Il ne put faire revivre ni l’ivresse panique de la première journée, lorsqu’il avait cru sentir véritablement le soleil dans son cœur ; ni le charme mélancolique de la première promenade solitaire ; ni la joie imprévue et divine qu’en ce matin de mai lui avaient communiquée le chant de Favette et le parfum des genêts rafraîchis par la rosée. Sur la terre et sur la mer, les hommes jetaient une ombre tragique. La pauvreté, la maladie, la démence, la terreur et la mort s’embusquaient ou s’étalaient en tous lieux sur son passage. Un vent de fanatisme enflammé courait d’un bout à l’autre du pays. De jour et de nuit, de près et de loin, les hymnes religieux résonnaient, monotones et interminables. Le Messie était attendu, et les pavots dans les blés évoquaient l’image de sa tunique rouge.

Autour de lui, la foi consacrait toutes les formes végétales. La légende chrétienne s’enroulait aux troncs d’arbres, fleurissait