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— Silence !

— D’ici, on n’entend rien.

— Moi, j’entends.

— J’entends aussi.

Ave, Maria !

Toutes se turent, firent le signe de la croix, s’inclinèrent. Il semblait que quelques ondes sonores arrivassent du bourg lointain, perceptibles à peine, mais la plainte de l’enfant troublait l’oreille aux écoutes. Encore une fois on n’entendit plus que cette plainte. La mère était tombée sur les genoux au pied du berceau, prosternée jusqu’à terre. Hippolyte, inclinée, priait avec ferveur.

— Regarde, là, sur le seuil de la porte, chuchota une des femmes à sa voisine.

George, vigilant et inquiet, tourna la tête. La porte était pleine d’ombre.

— Regarde, là, sur le seuil de la porte. Tu ne vois rien ?

— Oui, je vois… répondit l’autre, incertaine, un peu effarée.

— Qu’est-ce ? que voit-on ? demanda une troisième.

— Que voit-on ? demanda une quatrième.

— Que voit-on ?

Soudainement, la même curiosité et le même effroi les envahirent toutes. Elles regardèrent vers la porte. L’enfant pleurait. La mère se leva et se mit à fixer aussi des yeux dilatés sur cette porte que les ténèbres intérieures rendaient mystérieuse. Le chien aboyait au milieu des oliviers.

— Qu’est-ce ? dit George à haute voix, mais non sans faire quelque effort pour se défendre contre le trouble grandissant de son imagination. Que voyez-vous là ?

Aucune des femmes n’osa répondre. Toutes voyaient une forme vague luire dans l’ombre.

Alors il s’avança vers la porte. Lorsqu’il franchit le seuil, une chaleur de four et une puanteur répugnante lui coupèrent la respiration. Il se retourna, sortit.

— C’est une faux, dit-il.

En effet, c’était une faux pendue contre la muraille.

— Ah ! une faux…

Et les voix recommencèrent :

— Liberata ! Liberata !

— Mais es-tu folle ?

— Elle est folle.

— Voici la nuit. Nous nous en allons.

— Il ne pleure plus.

— Pauvre créature ! Dort-il ?