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point des partis, mais comme des bureaux, des syndicats de parti. Le groupe est un peu dans la Chambre ce qu’est le comité par rapport au suffrage universel inorganique. C’est la seule collectivité, la seule organisation, la seule force qui vive et agisse. Comme le comité le groupe est artificiel, et comme le comité il ne représente rien qui ne soit factice et de pure convention, ni un intérêt vivant, ni le pays vivant.

Néanmoins, il faut être d’un groupe. Le député ne peut pas plus s’affranchir du groupe que le candidat du comité. Voici l’alternative : en être ou ne pas être ; en être, ne fût-ce que du groupe des indépendans, des sauvages, de ceux qui ne sont pas d’un groupe. Comme tout, dans l’État, tient au nombre, le groupe pèse et peut en proportion du nombre, et chaque député pèse et peut en proportion de ce qu’ils sont de membres à son groupe. S’ils sont cinquante, il est multiplié cinquante fois par lui-même, j’entends pour ce qui est sa besogne journalière : de décrocher des vases de Sèvres, des palmes académiques, des croix du Mérite agricole. Il ne représente rien, qu’un comité qui ne représente rien ; mais devant les ministres, dans la bascule parlementaire, il représente son groupe, et ici, par un miracle de l’arithmétique, zéro multiplié cinquante fois donne cinquante. Non seulement, plus le groupe est nombreux, plus le député devient redoutable et cher aux ministres, mais plus il est en passe et en posture de devenir ministre à son tour. Un homme de génie, hors du groupe, ne le serait pas ; un Richelieu, un Colbert ne le seraient pas, ne représentant l’un que Richelieu, l’autre que Colbert ; mais, sans génie, dans le groupe et avec le groupe, on peut l’être, et ce monsieur l’a bien été, par la valeur de cinquante non-va leurs.

Ainsi se forge et se rive toute une chaîne de dépendances : le ministre dépend des chefs de groupes, qui dépendent des députés, qui dépendent des comités, qui confisquent le suffrage dit universel, et ainsi, au bout de la chaîne, au dernier anneau, partout et toujours le pouvoir traîne le boulet du nombre. De là l’humiliante médiocrité, l’affligeante stérilité de la politique actuelle, et elle ne peut pas, sous ce régime, ne pas être médiocre et stérile. Sous ce régime, le Moyen de parvenir ne remplit pas un gros traité. On y « parvient » au choix ou à l’ancienneté. Pour l’ancienneté, il suffit, avant de vouloir être député, d’avoir été conseiller municipal, conseiller d’arrondissement et puis conseiller général. Pour le choix, il faut ne porter ombrage à personne et subir les conditions de X, Y, Z. Tout ce qui dépasse est écarté ou abattu du coup, sauf de très rares exceptions et, comme l’on dit, elles confirment la règle.

À ce choix fait presque au rebours et à cet avancement presque