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TRIOMPHE DE LA MORT


QUATRIÈME PARTIE[1]

LA VIE NOUVELLE



I

Sur l’Adriatique régnait la chaleur humide et pesante du vent d’est. Le ciel était voilé, nébuleux, blanc comme du lait. La mer avait perdu tout mouvement, toute matérialité, et se confondait avec les vapeurs diffuses des lointains : très pâle, sans respiration. Une voile blanche, une seule voile blanche — cette chose si rare dans l’Adriatique — se dressait là-bas près des îles de Diomède, immobile, indéfiniment prolongée par le miroir liquide, centre visible de ce monde inerte qui semblait s’évanouir.

Hippolyte, assise sur le parapet de la loggia, dans une attitude lasse, fixait sur la voile des yeux magnétisés par cette blancheur. Un peu penchée, dans un relâchement de toute sa personne, elle avait un air de stupeur et presque d’hébétude qui révélait l’éclipse momentanée de la vie interne. Et cette absence de force expressive accentuait ce qu’il y avait de commun et d’irrégulier dans ses traits, alourdissait le bas de son visage. La bouche même, cette bouche élastique et sinueuse dont le contact avait tant de fois communiqué à George une sorte de terreur instinctive et indéfinissable, la bouche paraissait maintenant dépouillée de son

  1. Voyez la Revue du 1er  juin, du 15 juin et du 1er  juillet.