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affaires étrangères ; mais on n’a pas tardé à s’apercevoir que le changement de l’homme avait une répercussion sur la marche des choses. D’ailleurs au bout de quelques mois, lord Rosebery, devenu premier ministre, a abandonné le ministère des affaires étrangères à lord Kimberley. Ce ministère n’a pas pu échapper à la maladie de langueur qui atteignait le gouvernement tout entier. Comment entamer une négociation importante lorsqu’on sait d’avance qu’on n’aura pas le temps de la mener à terme ? On attend, on se réserve, on recule devant les responsabilités trop lourdes. À ce point de vue, les puissances étrangères elles-mêmes ont intérêt à ce qu’il y ait en Angleterre un gouvernement qui se sente sûr de son lendemain, assez fort pour être conciliant au dehors et pour faire accepter par l’opinion au dedans les transactions qu’il aura jugées raisonnables ou nécessaires.

Sera-ce là le caractère du gouvernement de lord Salisbury ? Il réunit beaucoup des conditions qui lui permettraient d’y prétendre et d’y rester fidèle. Rarement un parti est arrivé au pouvoir avec plus de chances d’y demeurer longtemps. L’effondrement du cabinet libéral lui fait la partie belle. Il n’y a qu’une ombre au tableau : elle vient de la situation et des prétentions des unionistes. Si le parti libéral est un parti hétérogène, il en est de même du parti conservateur. La question d’Irlande a opéré comme un dissolvant sur l’un et sur l’autre : elle a commencé par les désagréger tous les deux pour leur imposer ensuite une composition nouvelle et mêlée. Deux des anciens lieutenans de M. Gladstone, et non des moindres, M. Goschen et M. Chamberlain, ont pris rang aujourd’hui parmi ceux de lord Rosebery. Le premier n’inquiète que très peu de personnes, mais il n’en est pas de même du second. Parti des rangs les plus avancés du radicalisme, M. Chamberlain est resté radical d’opinions et de procédés, et il s’efforce de trouver entre son ancien parti et le nouveau ce que nous appellerions un programme de concentration, qui modifierait profondément celui des conservateurs. M. Chamberlain est un homme actif, entreprenant, violent même, au moins dans ses idées et dans la forme qu’il leur donne, et il est sans doute appelé, aussi bien par ses défauts que par ses qualités, à jouer un rôle important, sinon dangereux. N’ayant aucun préjugé, il confond volontiers les traditions avec les préjugés. Enfin il s’est beaucoup occupé, au moins dans ses discours, de politique étrangère, et nous avons le regret de dire que la sympathie qu’il témoignait à la France autrefois, il y a déjà assez longtemps, a toujours été en diminuant. Dans ses dernières et virulentes harangues, on n’en trouve plus la moindre trace appréciable. Ce radical, anciennement imbu des doctrines de Manchester, est devenu un des champions les plus intraitables de l’expansion coloniale per fas et nefas. Il est allé faire, il y a quelques années, un voyage en Égypte : en quittant Londres, il était partisan de l’évacuation, il y est revenu partisan de