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aux affaires : ils sentaient bien, et, au surplus, la plupart des élections partielles qui avaient lieu sur les points les plus divers du territoire leur prouvaient que le temps travaillait pour eux. Ils auraient préféré que le budget fût voté avant la chute du cabinet libéral. En durant plus longtemps, celui-ci se serait usé davantage. Aussi croyait-on généralement qu’on le laisserait vivre encore quelques semaines, peut-être quelques mois. Il est tombé sur une surprise qu’il lui aurait été très facile de réparer le lendemain, pour peu qu’il l’eût voulu. Les conservateurs eux-mêmes se seraient prêtés à la résurrection apparente d’un cadavre aussi authentique : qu’avaient-ils à y perdre ? C’est le 22 juin que, au moment où on s’y attendait le moins, le ministre de la guerre, M. Campbell-Bannerman, a été mis en minorité de 7 voix. Un membre de l’opposition conservatrice, M. Brodrick, ancien sous-secrétaire d’État au même département, lui reprochait de n’avoir pas, dans les arsenaux, certains approvisionnemens en quantité suffisante, et il demandait à la Chambre, pour manifester son mécontentement, de voter une diminution sur le traitement du ministre. Ainsi fut fait. Mais il n’y avait dans la salle des séances que 257 votans, et les conservateurs ne s’attendaient pas plus à leur succès que les libéraux à leur échec. Personne n’avait songé à mettre en minorité M. Campbell-Bannerman, qui est personnellement sympathique à tous les partis. Les journaux les plus opposés semblent s’entendre pour faire aujourd’hui son éloge. On rappelle que lorsque le speaker a dernièrement donné sa démission, il aurait dépendu de lui de le remplacer ; mais le ministère a cru avoir besoin de sa popularité et a tenu à le conserver dans ses rangs. Comment donc se fait-il que ce soit lui, précisément, qui ait été frappé par un coup de foudre parti d’un ciel serein ? On ne se l’expliquerait pas si le ministère Rosebery n’était pas arrivé, depuis quelque temps déjà, à un de ces états de décomposition maladive où il est dangereux de se montrer en public et où les moindres accidens sont mortels. Quand on en est là, il ne faut pas demander pourquoi c’est tel membre qui est atteint le premier plutôt que tel autre, puisque la mort est partout.

En réalité, le ministère libéral était perdu à partir du jour où M. Gladstone, vaincu par les premières infirmités de la vieillesse, a pris sa retraite. M. Gladstone n’était pas facile à remplacer à la tête de son parti, d’abord à cause de sa valeur propre et de l’immense ascendant dont il jouissait, ensuite à cause des questions qu’il avait soulevées et que lui seul était capable de résoudre : encore ne sommes-nous pas sûrs qu’il y eût réussi. Comme si ce n’était pas assez de la question irlandaise, de ce home rule dont il avait fait sa chose propre, et au sujet duquel il s’était brouillé avec plus d’un de ses amis, il avait entrepris une campagne quasi-révolutionnaire contre la Chambre des lords, dans laquelle il voyait, pour la réalisation de ses projets, un