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au lieu de les éloigner. » Les discours impériaux ont rencontré une approbation universelle. Chez nous, les patriotes de profession avaient exprimé la crainte que nous ne fussions exposés à Kiel à des empressemens qui auraient pu nous causer un peu d’embarras. Il n’en a rien été. Tout s’est passé avec une correction parfaite, et l’empereur d’Allemagne a tenu, comme nous nous y attendions bien, à manifester une courtoisie parfaite, c’est-à-dire discrète, à tous ceux qui avaient répondu courtoisement à son invitation. Au reste, les prédictions pessimistes, les inquiétudes, les alarmes même dont quelques-uns de nos journaux s’étaient faits les organes ont laissé l’opinion à peu près indifférente. Nous avons déjà parlé de la discussion qui s’est produite à la Chambre des députés, au moment même où nos vaisseaux partaient pour Kiel. Elle a été utile, et il a fallu remercier, en fin de compte, ceux qui l’avaient provoquée. Toute la fantasmagorie dont les orateurs d’extrême gauche avaient essayé d’émouvoir les imaginations s’est évanouie au grand jour de la tribune. L’énergie d’accent avec laquelle M. Ribot a déclaré que, pour son compte, il estimait nos navires bien placés à côté de ceux de nos alliés, a produit sur la Chambre, et bientôt après sur le pays, une impression profonde. Ce mot d’alliance, cette affirmation d’une entente préalable avec les Russes frappaient les oreilles pour la première fois. Une lumière subite a éclairé beaucoup d’esprits ; d’autres se sont montrés hésitans ou sceptiques. Des journaux étrangers ont entretenu pendant quelques jours ces derniers sentimens : ils ont affecté de se tourner du côté de, la Russie en annonçant un démenti, et ils n’auraient pas manqué d’en attribuer le caractère à la moindre réserve, à la plus légère réticence qui seraient venues de Saint-Pétersbourg. L’attention, déjà éveillée dans toute l’Europe est devenue plus intense : il semblait qu’on s’attendit à de l’imprévu, et en effet il y en a eu.

On a appris, le même jour, deux incidens dont le rapport avec les circonstances générales n’a paru à personne être l’effet du simple hasard. Si le gouvernement russe n’avait pas été d’accord avec le gouvernement de la République, non seulement sur les choses, mais encore sur la manière de les manifester, rien ne lui aurait été plus aisé que de s’abstenir de toute démarche propre à être interprétée comme une adhésion. On sait ce qui s’est passé. M. de Mohrenheim s’est rendu à l’Élysée pour remettre à M. Félix Faure le collier de l’ordre de Saint-André, et en même temps les escadres russe et française se rencontraient sur un point déterminé d’avance dans les eaux danoises, et naviguaient de conserve jusqu’à la rade de Kiel. Il était impossible de notifier l’alliance par une démonstration plus claire à toutes les puissances maritimes dont les vaisseaux étaient réunis à l’orifice oriental du nouveau canal. A partir de ce moment, les doutes ont cessé ; le concert établi entre les deux puissances n’a plus été discuté. On en ignore