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Un candidat ? Mais le comité se réserve de désigner le candidat. X, Y, Z confèrent tous les soirs ; c’est de chez l’un chez l’autre un va-et-vient mystérieux : ils cherchent un homme. La ville et la banlieue attendent… Enfin, ils prononcent. Nouvelle réunion « générale. » Le nom du candidat choisi est mis aux voix, à mains levées : des mains se lèvent. L’homme de X, Y, Z reçoit la consécration solennelle de deux cents petits Z, Y, X. Il est désormais candidat, leur candidat, le candidat. Qui l’a investi ? La réunion « générale » du… Qui l’a proposé à cette réunion ? Le comité. Qui en avait chargé le comité ? Une première réunion. Qui avait convoqué cette première réunion ? Le comité. Qui avait investi le comité ? Personne. Mais personne non plus ne conteste les titres ni de la réunion, ni du comité, ni du candidat, il est le champion déclaré, privilégié, envoyé en possession de monopole, breveté avec garantie des « républicains progressistes » de l’arrondissement. — Et qui est-ce, les républicains progressistes de… ? — Vous le savez bien : « On » et « Chose » et puis X, Y, Z.

Mais qui est-ce, lui, le candidat ? Un avocat, ancien bâtonnier de l’ordre (ils sont quelquefois jusqu’à cinq inscrits au tableau) ou quelque officier de santé, promu docteur par la politesse française, comme Charles Bovary par M. Homais, ou, sans métaphore, à cause des campagnes, un vétérinaire. Si la circonscription est urbaine, le médecin prodigue ses secours au commerce local « que ruine la concurrence parisienne » : si elle est rurale, l’avocat se sent pris d’une passion violente pour les comices agricoles. Banquets par souscription et toasts. C’est l’heure de rédiger le programme. Le comité s’enferme et, pied à pied, en discute les termes.

La libre pensée locale a des exigences : elle veut, dix ans après que la loi est votée et rigoureusement appliquée (n’est-ce pas la plus appliquée de toutes nos justes lois ? ) que le candidat inscrive en ses revendications l’instruction gratuite, laïque et obligatoire, ou, puisque, somme toute, c’est une affaire faite, que l’on en jure le maintien. Elle éprouve son homme, l’homme de X, Y, Z, à cette pierre de touche : jure-t-il de maintenir les lois scolaires et militaires… ces lois qui,… ces lois que… ces lois intangibles ? Car cette libre pensée pense peu et pas du tout librement. Il y a des chances pour que X, Y, Z, s’ils sont « républicains progressistes » en province, dans une ville de quinze à vingt mille âmes, soient en même temps francs-maçons et dignitaires d’une loge. Ce n’est pas qu’il faille pour cela exagérer la profondeur ni la noirceur de leurs desseins ; mais de piquer trois points sous leur signature, de frapper trois coups sur leur coude, aux reconnaissances, de porter à leur nœud de cravate une truelle