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la recherche érudite. Ils trouvaient un public préparé par le Génie du Christianisme ; ils sortaient eux-mêmes de ce livre. Disons-le pour rabaisser la superbe des savans ; quelques pages de cet ignorant, de cet amateur qui s’appelait Chateaubriand, ont fait plus pour l’intelligence de la poésie du moyen âge que toutes les compilations antérieures des Bénédictins, que tous les mémoires postérieurs des Académies. Le poète seul engendre la vie, dont il ignore peut-être les lois ; les spécialistes, qui se vantent de connaître ces lois, ne peuvent que développer l’être vivant qu’il a conçu. — Raynouard publiait un Choix de poésies des troubadours, concurremment avec ses travaux de grammaire et de lexicographie. Fauriel élargit le sillon : si beaucoup d’entre nous rôdent aujourd’hui avec sympathie et curiosité autour du sanctuaire des études romanes, ils doivent leur penchant à cet honnête homme. Ses livres enseignaient libéralement tout ce qu’il savait lui-même de ce monde nouveau ; tombés dans nos mains à notre sortie du collège, ils nous firent aimer ce qu’il aimait. Nos initiateurs manquaient de critique, je le veux bien ; ils tiraient arbitrairement le moyen âge du côté de la Provence et de la langue d’oc : on verse peut-être aujourd’hui dans l’excès contraire ; ils eurent toutes les insuffisances, soit ; mais l’apôtre qui répand une religion vaut sans doute le théologien qui l’approfondit.

On sait comment l’influence de ces précurseurs créa le style troubadour, dont je ne défendrai ni l’esthétique ni l’exactitude, et le courant gothique dans le romantisme ; courant superficiel, souvent puéril, mais qui a réintroduit mille ans de notre histoire dans notre art et dans notre littérature. Il se creuse un lit plus profond et plus sûr après 1830, avec les travaux d’Augustin Thierry, de Villemain, de Michelet, de tant d’autres. Paulin Paris combat à leur suite pour la cause à laquelle il va dévouer sa vie ; il adjure la nouvelle école de se retremper aux sources de la poésie nationale ; il imprime, en 1831, la première chanson de geste — cette appellation devenue classique est de lui — publiée en France et mise en langage moderne : l’épopée de Berte aux grans piés. Garin le Loherain suivait, en 1833. Le Fierabras, paru en 1829, avait été édité en allemand par un professeur de Berlin, Immanuel Bekker. Pour mesurer l’intensité du mouvement à cette époque et sa force de pénétration dans le monde lettré, il suffit de se reporter aux premières années de cette Revue, qui demeure, quoi qu’on dise, le plus fidèle miroir des fluctuations de l’esprit français : Fauriel, Michelet, Quinet, Ampère, pour ne citer que les plus illustres, y reviennent sans