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LE MOYEN AGE

POETES ET PHILOLOGUES

Gaston Paris, la Littérature française du moyen âge, 2e édition, 1 vol., 1890. — La Poésie du moyen âge, leçons et lectures, 1 vol., 1885. — Id., 2e série, 1 vol., 1895 ; Hachette et Cie.

Trois petits volumes, après trente ans de recherches, depuis cette Histoire poétique de Charlemagne (1865) qui mit du premier coup le jeune étudiant de l’École des Chartes au rang des maîtres : trois soupiraux ouverts au passant sur l’incessante activité du laboratoire où les alchimistes de la philologie romane font leurs manipulations secrètes. Le premier de ces volumes est un manuel destiné à introduire les commençans dans l’étude de la littérature du moyen âge ; ce bréviaire, où la matière de tant d’in-folio est condensée jusqu’à l’extrême limite de compressibilité, renferme autant de faits et d’idées que de mots. Les deux recueils qui suivirent, lectures académiques ou leçons d’ouverture des cours professés au Collège de France, devraient porter le titre significatif qu’un émule de M. Gaston Paris, l’illustre Max Müller, donnait à ses fragmens de mythologie comparée : Copeaux d’un atelier allemand. Mais cette fois l’atelier est français.

Je voudrais louer ces livres, et mon embarras est grand. Les philologues sont devenus les moins abordables des savans. Retranchés dans leurs ouvrages, ils en défendent sévèrement les approches ; à la première reconnaissance, le profane risque d’être fusillé. S’il touche à quelques points particuliers, les initiés le taxeront d’ignorance et le feront rougir de ses bévues ; s’il tente de porter sur ce terrain interdit les idées générales, ils lui crieront avec humeur : « C’est trop tôt, toujours trop tôt ! Nous n’avons pas encore rassemblé assez de millions de faits ! » Le savant qu’on louerait maladroitement serait le premier à prendre en pitié