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justesse et quelquefois par la nouveauté de l’attitude. Dans la niche du dessous, l’intérieur de la tombe, on voit, de face, descendre une grande figure, aux bras déployés comme des ailes, qui s’agenouille au-dessus d’un couple d’époux, vieillis et décharnés, gisant, côte à côte, les mains unies, au fond du sépulcre ; le cadavre d’un petit enfant, jeté en travers de ces deux cadavres, les unit dans la mort comme dans la vie ; c’est la conclusion du drame, l’idée de l’espérance et de l’immortalité entrant dans la tombe. On a pu discuter, comme on peut toujours le faire en pareil cas, quelques-unes des intentions symboliques de l’auteur, mais nul ne peut se refuser à reconnaître que la présentation générale de la scène est d’une simplicité et d’une clarté qui ne permettent point d’erreur et qui sont de nature à frapper les plus ignorans comme les plus raffinés.

L’exposition posthume des œuvres de Jean Carriès ne montre pas, dans ce jeune artiste mort à 39 ans, une intelligence aussi sainement équilibrée, ni une sensibilité aussi grave et aussi haute que celle de M. Bartholomé. Si l’on en juge par la diversité et par l’inégalité de ses tentatives, dans tous les ordres de création sculpturale, depuis la décoration architectonique jusqu’à la poterie commune, on doit croire que c’était un esprit chercheur et ingénieux, mais saisissant, jusqu’à présent, les choses plus par le dehors que par le dedans, et n’étant point encore entré en pleine possession de lui-même, tout troublé et tout agité, avec une première instruction insuffisante, par toutes sortes d’impressions vives et successives dont il s’exagérait parfois la nouveauté et la valeur. Un livre intéressant et étendu[1], écrit d’enthousiasme par un témoin de cette courte vie qui fut difficile, laborieuse, estimable, nous montre par quelle suite d’efforts le petit orphelin lyonnais, élevé et protégé par des sœurs de charité, conquit de vive lutte, avec une juste réputation, de fidèles et hautes amitiés, et se mit en tête, comme un autre Bernard Palissy, de renouveler l’art de la céramique française en l’appliquant à la décoration architecturale. C’est devant ses fourneaux, dans un village du Berry, que la mort l’attaqua, en lui laissant seulement le temps de venir dire adieu à ses amis de Paris. A quels résultats auraient abouti ces tentatives d’un esprit ingénieux et souple qui était en même temps patient et opiniâtre ? C’est ce que personne ne saurait dire. Le grand modèle d’une Porte en grès émaillé, l’œuvre capitale de l’exposition, dont les montans sont couverts de têtes et figures grotesques, nous donne l’idée

  1. Arsène Alexandre. — Jean Carriès, imagier et potier ; Paris, librairies-imprimeries réunies, in-4o, 1895.