Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 130.djvu/195

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ressuscite, avec un sentiment délicat des attitudes romantiques, une des muses les plus sincères parmi celles qui ont chanté leurs douleurs personnelles. Nous voudrions reconnaître aussi bien dans le Théodore de Banville, par M. Coulon, l’aisance aimable et bienveillante, la vivacité joyeuse et douce qui charmèrent, jusqu’à la fin, les amis du poète : mais, en accumulant sur sa personne, toujours pétulante et légère, le poids étouffant d’abondantes draperies, et en lui jetant sous les pieds, pêle-mêle, de gros in-folio entr’ouverts et froissés, le sculpteur lui a donné je ne sais quel air de pédant théâtral et désordonné auquel ne devait certes point s’attendre un ami si accueillant de la jeunesse, un chanteur d’esprit si libre et si gai, un bibliophile si soigneux ! Banville n’est pas le premier, sans doute, ni le dernier non plus, avec lequel on en prendra à son aise. Nous sommes accoutumés, depuis longtemps, sur les places publiques, dans les édifices les plus vénérables où devrait régner la seule vérité, dans le palais de l’Institut et ailleurs, à voir la fantaisie des artistes altérer, avec insouciance ou sans scrupules, jusqu’à les rendre méconnaissables, les traits des personnages qu’ils sont chargés d’immortaliser. C’est une pratique déplorable, aussi fâcheuse pour l’art que pour l’histoire. Il n’y a pas de talent qui tienne, un portrait n’est un beau portrait que lorsqu’il ressemble, et s’il ne ressemble pas, c’est que l’artiste n’est qu’un savant ou habile ouvrier, mais incomplet et inférieur. De notre temps, ces erreurs sont d’autant moins excusables que jamais les moyens d’information n’ont été plus sûrs et plus nombreux, que jamais non plus on n’a exécuté avec plus de précision le portrait sculpté, comme le prouvent ici même tant d’excellens bustes, ceux, par exemple, de MM. Moucher (M. le procureur général Bertrand), Falguière (Mme H.-G…), Cartes (M. Romet), Lanson (M. Challemel-Lacour, président du Sénat), Enderlin, Fosse, Julien, Bernstamm, etc. ; c’est là surtout qu’il faut, avant toute chose, apporter le souci de la vérité.

Le goût de la vérité, lorsqu’il est franc et profond, et secondé par une main exercée, suffit à faire un chef-d’œuvre d’une simple figure d’étude). Deux modèles très justement remarqués ont été celui d’un Potier par M. Hugues et celui d’un Tireur de sable par M. Clausade. Le Potier est un homme âgé, à peu près nu, assis devant son tour sur lequel il modèle un vase, un potier de n’importe quel temps. Le visage est ridé, mais le corps vigoureux ; et la jambe gauche tendue en avant, le pied droit en arrière sur le plateau de la roue, il fait couler, d’un geste attentif et léger, la feuille de pâte arrondie entre ses doigts avec une gravité d’ouvrier consciencieux qui arrête et qui émeut. Le travail auquel se livre